L’escroquerie colonialiste des agrocarburants

Le développement rapide des carburants issus de végétaux bouleverse l’agriculture mondiale et menace la sécurité alimentaire ainsi que les droits sociaux des pays du Sud. Cas emblématique : le palmier à huile.

Patrick Piro  • 31 mai 2007 abonné·es

Voici un an à peine, qui s’intéressait sérieusement aux carburants issus de végétaux ? Depuis, la prise de conscience de la crise s’est brutalement accélérée : le dérèglement climatique, auquel le secteur du transport contribue à près de 30 %, ne fait plus de doute ; et l’approvisionnement des pays industrialisés en hydrocarbures, dont dépendent plus de 95 % du milliard d’automobiles dans le monde, fait l’objet d’inquiétudes redoublées : les ressources se raréfient et leurs propriétaires commencent à en user comme d’une arme stratégique.

Ainsi, l’éthanol et le diester deviennent opportunément la coqueluche des politiques énergétiques et agricoles ! En septembre dernier, la France annonce son ambition de porter à 7 % leur part de marché d’ici à 2010, au-delà des 5,75 % fixés par une directive de l’Union européenne. Aux États-Unis, d’ici à 2015, George Bush souhaite remplacer 15 % du pétrole automobile par des agrocarburants, dont la part était de 2,7 % en 2006.

Illustration - L’escroquerie colonialiste des agrocarburants


Une cuve d’agrodiesel au Salvador. CAZEBAS/AFP

S’ils ne représentent que quelques gouttes dans un océan d’essence et de diesel (15,5 millions de tonnes « d’équivalent pétrole » en 2004, 0,2 % seulement de la consommation mondiale totale), les agrocarburants pourraient voir tripler leur production d’ici à 2010, selon l’Agence internationale de l’énergie. Il se construit en moyenne une nouvelle usine d’éthanol et de diester par jour dans le monde. Objectif : remplir les réservoirs, d’abord dans les pays industrialisés, où ont lieu la majorité des déplacements sur route.

Le développement considérable promis à ces filières prépare de graves bouleversements ­ agricoles, écologiques, sociaux, économiques ­, dont on mesure déjà les premiers effets.

Ainsi, la demande d’éthanol, dynamisée par la flambée des prix du pétrole, a déjà provoqué une hausse importante du coût des céréales alimentaires aux États-Unis (maïs principalement), désormais « indexé » de fait sur les cours du brut ! Selon les chercheurs de l’International Food Policy Research Institute (États-Unis), les cours du maïs pourraient bondir de 41 % d’ici à 2020, et de 76 % pour les oléagineux ! Le renchérissement des denrées alimentaires affectera d’abord les plus démunis, dont la majeure partie du budget passe dans la nourriture. La faim pourrait ainsi toucher 1,2 milliard de personnes en 2025, contre 830 millions aujourd’hui.

D’ores et déjà, la compétition pour l’affectation des productions agricoles ­ alimentaires ou énergétiques ­ est engagée. Au Brésil, l’expansion de la canne à sucre et du soja pousse les élevages vers l’Amazonie, aggravant les menaces de déforestation. Dans ce pays, l’éthanol sert d’abord aux voitures brésiliennes, mais la croissance planifiée de sa production vise les marchés à l’exportation.

Un sort particulier attend les pays tropicaux, au climat très favorable aux plantes à huile. Il porte le nom d’ Elaeis guineensis , le palmier à huile intouchable, du fait de son rendement exceptionnel. Ses fruits produisent à l’hectare 10 fois plus d’huile que le soja ! Celle-ci est déjà la plus commercialisée au monde, entrant dans la composition d’une multitude de produits : huiles de cuisine, margarines, plats cuisinés, détergents et désormais agrodiesel, sans conteste le produit phare des prochaines années. Autre « avantage comparatif » de cet arbre tropical : les salaires et les conditions de travail sont fréquemment déplorables dans les plantations de pays où les droits sociaux sont très limités ou inexistants…

Si les fruits sont pressés sur place, ce sont les pays industrialisés qui tirent profit, à ce jour, de l’indispensable processus de raffinage de l’huile de palme : dans l’Union européenne, deuxième importateur mondial, les Pays-Bas et l’Allemagne sont ainsi respectivement troisième et septième… exportateurs mondiaux, vers plus de cinquante pays !

Sud producteur de matière première, Nord transformateur et consommateur : l’huile de palme, plus que tout autre agrocarburant, dessine déjà, en ce début de XXIe siècle, une nouvelle escroquerie colonialiste. Et déguisée, funeste présage, sous des oripeaux écologiques.

Écologie
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