« Ne pas continuer dans l’erreur »

Pour Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre du Logement
et députée européenne, les causes de l’échec sont à chercher dans le « oui » au référendum.

Michel Soudais  • 10 mai 2007 abonné·es

On a souvent dit que la gauche ne pouvait pas perdre cette campagne. Quelles sont les causes de cette défaite ?

Marie-Noëlle Lienemann : La première défaite s’est produite au premier tour, quand on n’a pas fait le plein des voix de gauche. Le programme de Ségolène Royal n’a pas été suffisamment marqué sur le fond des dossiers, avec des positions fortes qui indiquent une rupture politique et en particulièrement un engagement antilibéral beaucoup plus prononcé, en écho au « non » référendaire, en écho aussi au vote des Français aux européennes et aux régionales, où la gauche avait été majoritaire, en termes de voix. Le manque de clarté dès le premier tour nous a fragilisés et a conduit une partie des électeurs de la gauche à faire un choix tactique, d’une « efficacité » toute relative, pour essayer d’éviter Sarkozy.

La deuxième erreur, qui accentue la crise et tue le début de dynamique de rassemblement qui s’était opéré avec le désistement de nos partenaires, c’est cette espèce de confusion sur l’alliance au centre. Celle-ci a quand même été très loin puisqu’on préconisait même un Premier ministre centriste. Et là, on n’a pas fait le plein des voix de gauche au deuxième tour. Mitterrand le disait : la seule façon de gagner pour la gauche, c’est d’abord de rassembler son camp autour d’une ligne ferme, et là il y avait une telle urgence sociale, une telle urgence républicaine qu’il y avait quand même des choses fermes à proposer. Ensuite, être ouvert, mais quand on a créé la dynamique, et non faire des combinazione qui rappellent la IVe République.

Est-ce que le parti socialiste n’a pas non plus une responsabilité, en n’ayant pas fait, ces cinq dernières années, un travail de rénovation idéologique ?

Je parlerai plutôt de ressourcement. Parce que la rénovation, c’est cette théorie permanente selon laquelle la gauche serait toujours archaïque et la droite toujours moderne. Je crois au contraire que les fondamentaux de la gauche sont d’une grande actualité, et que cette thématique permanente de doute sur nous-mêmes est déjà un élément de notre fragilité. Oui, le PS est responsable, bien en amont de la simple campagne de Ségolène Royal. Le premier exemple qui me vient concerne les couches populaires qui avaient dérivé à droite ou à l’extrême droite. On avait commencé à les regagner après les luttes contre le plan Fillon sur les retraites. Une dynamique fait que, aux régionales, ces couches populaires recommencent à voter socialiste. Et c’est au moment où on avait de nouveau une écoute de ces personnes que le parti socialiste décide de voter « oui » au référendum, en décalage absolu avec une grande majorité de sa base sociale.

Et en prétendant que les « oui » sont compatibles…

Oui, et en disant aussi qu’on ne peut pas faire autrement que voter « oui », que nos partenaires européens nous l’imposent, que la mondialisation est un cadre inéluctable et qu’on ne peut l’amender qu’à la marge. Si c’est ça, c’est effectivement une des raisons pour lesquelles les couches populaires sont redevenues vulnérables à la droite et à l’extrême droite, et ont écouté les sirènes de Sarkozy prétendant défendre le monde du travail, faute d’avoir une réponse forte de changement de la gauche.

Après le discours de Ségolène Royal, dimanche soir, sur les nécessaires « rénovation de la gauche » et « recherche de convergences au-delà des frontières actuelles », craignez-vous que le PS s’enferre dans la même erreur ?

Oui, d’autant plus qu’il y a quand même un principe de réalité : elle souhaite le socialisme par la preuve. La preuve, c’est que sa stratégie nous a amenés à un score particulièrement faible, à perdre la présidentielle pour la troisième fois de suite, alors qu’il y avait une forte attente sur le terrain social, et que c’est Sarkozy qui choisit de se référer à Jaurès et à Blum, même si on sait avec quelle illusion il le fait. Et elle nous dit : « Continuons comme avant. » On ne peut pas continuer dans l’erreur. Il faut rassembler la gauche et garder une ligne stratégique de transformation radicale par rapport au système économique dominant qu’est le libéralisme.

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