Un contresens historique

Jean-Baptiste Quiot  • 24 mai 2007 abonné·es

« Un choix historiquement stupide ». C’est à l’université du Medef, en septembre 2006, que Nicolas Sarkozy a osé cette charge contre la réforme des 35 heures de Lionel Jospin. « Osé » car, depuis 1841, le temps de travail n’a cessé de diminuer. Il est passé de 60 heures par semaine au XIXe siècle à 35 heures aujourd’hui. Avec les congés payés, fruit des nombreuses luttes des travailleurs, le temps de loisir s’est imposé comme un progrès inéluctable. Cependant, « l’histoire de la réduction du temps de travail n’est pas un processus linéaire » , nuance l’économiste Bénédicte Reynaud. C’est pourquoi Nicolas Sarkozy peut faire référence à un autre mouvement historique. « Si l’on a beaucoup parlé de la réduction du temps de travail avec les débats sur les 35 heures, on a passé sous silence le fait que cette politique a été accompagnée d’une flexibilité croissante du temps de travail » , explique le sociologue Michel Lallement.

Une flexibilité que l’État a favorisée en 1981, en autorisant le travail partiel, et que les lois Fillon ont institutionnalisée en 2003. « Pour la première fois dans l’histoire des RTT, des lois ont réussi à remettre en cause la référence à la durée légale du travail, qui déclenche les heures supplémentaires, entraînant ainsi le chômage partiel » , commente Bénédicte Raynaud. « Les travailleurs ont certes bénéficié d’un peu moins d’heures de travail, mais ils ont souffert d’une fragmentation et d’une désorganisation de leur temps, de plus de stress et de travail intensif » , précise Michel Lallement.

La future réforme sur les heures sup marque une nouvelle étape de cette inversion du sens de l’histoire. En effet, elle se veut un remède à « l’oisiveté » supposée des Français, et l’objectif déclaré est de « les remettre au travail » . Cependant, les salariés français figurent déjà parmi les plus productifs du monde. Selon les chiffres du Bureau of Labor Statistics, organisme américain, un salarié français a produit en moyenne, en 2005, 71 900 dollars de richesse. C’est en dessous des 81 000 dollars d’un Américain mais au-dessus des 64 100 dollars d’un Anglais ou des 59 100 dollars d’un Allemand. De même pour le temps de travail. Selon Eurostat, organisme officiel de l’Union européenne, un Français a travaillé 36,4 heures par semaine en 2006, c’est-à-dire plus que la moyenne européenne, qui est de 36,1. Paradoxalement, explique Guillaume Duval, rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques , « si, à niveau de richesse comparable, le chômage est plus important chez nous que chez nos voisins, c’est parce que ceux qui ont déjà un emploi sont particulièrement productifs. En cherchant à allonger le temps de travail, Nicolas Sarkozy ne fait qu’aggraver le chômage » .

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