Aider vraiment Mahmoud Abbas !

À Charm el-Cheikh, Israël a trouvé de nouvelles raisons de refuser un calendrier de règlement définitif du conflit. Au moment où le président palestinien avait le plus besoin d’un soutien international. Analyse.

Denis Sieffert  • 28 juin 2007 abonné·es

Ce qui s’est passé lundi à Charm el-Cheikh devrait, en bonne logique, nous amener à changer le regard occidental sur le conflit israélo-palestinien. Sur la rive égyptienne de la mer Rouge, il était question d’apporter un « soutien » au président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, mis en difficulté par la rupture avec le Hamas après les récents événements de Gaza (voir Politis n° 957). En présence du roi Abdallah II de Jordanie et du président égyptien, Hosni Moubarak, on espérait donc que le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, ouvre une véritable perspective politique. À tout le moins qu’il fasse connaître un calendrier de règlement définitif du conflit. Au lieu de cela, M. Olmert n’a concédé que deux gestes en trompe-l’oeil. D’une part, la restitution d’une partie des droits de douane qu’Israël avait détournés illégalement depuis 2006 ; et, d’autre part, une promesse de libération prochaine de 250 prisonniers palestiniens. Les Palestiniens savent d’expérience que ces libérations, qui font chaque fois en pareille circonstance l’objet de spectaculaires effets d’annonce, concernent généralement des prisonniers sur le point d’être libérés. Maigre soutien donc ! Trop maigre en tout cas pour relégitimer Mahmoud Abbas aux yeux de son peuple, et lui permettre de reconquérir son opinion face au Hamas. Au contraire, la restitution d’une partie des droits de douane, qui ne constituent en rien une aide humanitaire mais la propriété des Palestiniens, a permis à Ismaïl Haniyeh, le Premier ministre issu du Hamas, récemment démis, de faire observer que ces fonds débloqués sont un « dû qui revient à tous les Palestiniens » et qui « ne doit pas servir de chantage » . À vrai dire, seule une relance du processus conduisant à la création d’un État palestinien aurait été de nature à renforcer la position de Mahmoud Abbas. Mais, dès dimanche, le gouvernement israélien avait douché les ardeurs les plus naïves, souhaitant que le nouveau gouvernement palestinien se « stabilise » . Et un porte-parole avait jugé toute reprise des négociations « prématurée » .

Illustration - Aider vraiment Mahmoud Abbas !


Ehud Olmert et Mahmoud Abbas, lundi 25 juin à Charm el-Cheikh. STR/AFP

Cet épisode permet à lui seul de comprendre les raisons de la montée du Hamas depuis vingt ans dans l’opinion palestinienne. Plutôt que de s’acharner à isoler ce mouvement parce qu’il ne reconnaît pas Israël, il faudrait se demander pourquoi il ne reconnaît pas Israël. Ou, pour le dire autrement, pourquoi un mouvement qui ne reconnaît pas Israël a pu devenir majoritaire dans l’opinion palestinienne. La réponse est dans le comportement de M. Olmert à Charm el-Cheikh : parce que les dirigeants palestiniens qui reconnaissent Israël n’en retirent jamais aucun profit politique. Qu’ils ne peuvent jamais se prévaloir d’aucun succès devant leur peuple. C’est toute l’histoire de ces vingt dernières années. Faut-il le rappeler ? La reconnaissance historique d’Israël par l’OLP, en 1988 puis en 1993, n’a jamais conduit Israël à reconnaître un État palestinien, ni ne l’a empêché de boycotter Arafat de 2000 à 2004. Quant au boycott du Hamas et du gouvernement palestinien issu des urnes, à partir de janvier 2006, il ne peut trouver sa justification que dans une idéologie de type « choc des civilisations ». Une idéologie qui rejette les causes politiques de l’avènement du Hamas pour ne l’expliquer que par l’apparition d’une génération spontanée d’islamistes. Il s’agit alors d’isoler le mouvement islamiste pour mieux ensuite l’« éradiquer », pour reprendre un verbe qui évoque davantage l’arrachage des mauvaises herbes que l’action politique. Cela en suivant l’exemple désastreux de l’Algérie des années 1990, plutôt que les exemples de la Turquie et de la Jordanie, où des courants islamistes ­ et non des moindres ­ ont été intégrés au jeu politique.

Les effets de cette idéologie ont été plus désastreux encore lorsque le Hamas a gagné les élections. L’arrachage de la « mauvaise herbe » revient alors à affamer tout un peuple et à répandre en son sein misère et maladies. S’il s’agit d’une pédagogie, admettons qu’elle est rude. Mais elle est surtout inefficace car elle s’apparente à une déclaration de guerre (une de plus !) contre ce peuple.

C’est pourtant ce que fait depuis la victoire électorale du Hamas en janvier 2006 la communauté internationale. Plus grave encore : le boycott s’identifie à un refus du fait démocratique. C’est la communauté internationale qui s’est engagée la première dans la voie de l’illégalité. Si bien que le « putsch » du Hamas à Gaza apparaît comme la réponse au « putsch » de la communauté internationale refusant de reconnaître le résultat des élections législatives palestiniennes. Mais alors, aujourd’hui, quoi faire ? La seule façon de réduire l’influence du Hamas ­ si tant est qu’il faille poser le problème en ces termes ­ n’est pas d’affamer tout un peuple en aggravant son isolement. Ce qu’il faut, c’est valoriser Mahmoud Abbas. En toute logique, ce devrait être le moment pour Israël, les États-Unis et l’Europe (qui en est convaincue, mais n’ose le dire) de répondre aux demandes historiques du mouvement national palestinien. La contradiction du discours israélo-américain est maintenant au grand jour. On ne peut dire « il faut aider le président Abbas » et continuer de lui infliger rebuffades et humiliations. À moins de considérer que l’« aide » consiste en un encouragement à la guerre civile. Un encouragement d’autant plus criminel que cette « guerre civile », Mahmoud Abbas ne la gagnerait pas contre son peuple.

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