Glaciation

Avec « Boxer »,The National
livre un nouvel album désolé et difficile d’accès.

Jacques Vincent  • 7 juin 2007 abonné·es

Faut-il conseiller d’écouter ce disque ? Faut-il conseiller un disque auquel on a résisté lors des deux premières écoutes ? Oui, parce qu’il reste l’oeuvre d’un des groupes les plus intéressants du moment, dont on ne peut mettre en doute ni l’intégrité, ni la qualité, ni la cohérence. Une cohérence poussée ici jusqu’à un extrême quelque peu problématique. Boxer ressemble à une forteresse intime imprenable, et ce mur érigé par un excès de noirceur qui se dresse devant l’auditeur marque sans doute aussi un point de non-retour pour le groupe lui-même. L’unique photographie du livret, qui montre les musiciens de dos et s’éloignant, est peut-être un signe. On ne peut en tout cas guère imaginer une suite identique. On n’a pas plus idée de ce que pourrait être un nouveau chemin.

Pourtant, à la troisième écoute, peut-être aidé par le hasard du son mis en sourdine, on peut enfin se laisser convaincre et accéder à cette austère beauté, un moyen de pénétrer dans cet univers désolé. Et retrouver certains des ingrédients qui avaient tant fasciné sur Alligator . Mais très peu de ce lyrisme désolé quoique envoûtant, de ces crises majestueuses qui, sur scène, laissent Matt Berninger, le chanteur, hagard à la fin des morceaux. Plus axé sur les ambiances que sur les mélodies, Boxer est aussi un disque plus froid, voire figé, rappelant de lointaines contrées new wave .

Plus précisément, on peut y voir la rencontre entre le plus noir de Cure et les Tindersticks perdus dans la nuit profonde. Matt Berninger, avec cette façon de répéter inlassablement les phrases, mâchonne ses mots d’une voix égale comme quelqu’un que tout désir a abandonné et qui s’est déjà pratiquement passé la corde au cou. Le piano égrène des notes lugubres. Et la batterie cogne en rond de manière absurde, névrotique et sans joie. Boxer est sans doute de son époque. Une époque paradoxale qui voit la fonte des glaciers et la glaciation des corps et des esprits.

Culture
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