« Je n’avais jamais assisté à une scène aussi violente »

Le 26 mai dernier, le cinéaste Laurent Cantet se trouvait à bord du vol 796 pour Bamako où il tourne actuellement son prochain film. A bord également, un sans-papiers d’origine malienne que l’on a tenté de reconduire à la frontière contre son gré. Voici la version intégrale de son témoignage, recueilli par téléphone depuis Bamako.

Claire Demont  • 7 juin 2007 abonné·es

« Mon équipe de tournage et moi-même, nous nous trouvions à l’arrière de l’appareil. Une centaine de personnes a assisté à la scène. Nous avons d’abord cru à une bagarre entre passagers. Il y a eu très rapidement un mouvement de panique. Les gens ont très vite réagi en leur demandant de cesser cette violence. Les policiers habillés en civil se sont alors présentés. Et de préciser que l’homme qu’il frappait n’était pas un simple sans-papiers mais un dangereux criminel. L’un l’étranglait pendant que l’autre lui donnait des coups de poing dans le ventre. Et ses cris se sont transformés en râle. Nous sentions que l’homme souffrait beaucoup.

Nous avons assisté à un mouvement de solidarité général.
Mais la moindre réaction de notre part donnait lieu à une menace. « Asseyez-vous sinon vous aurez des problèmes » répétaient les policiers.
Au bout d’une dizaine de minutes, ils ont finalement réussi à sangler le Malien. Celui-ci a perdu conscience. Ses yeux se sont révulsés. Sa langue pendait. De toute ma vie, je n’avais jamais assisté à une scène aussi violente. Tout le monde était très choqué. De nombreux passagers criaient, certains pleuraient. Les plus proches de la scène tentaient de raisonner les policiers. On ne peut pas assister à une telle situation sans bouger même s’il s’agit de policiers.

Le Malien a été évacué de l’avion, beaucoup de gens ont cru qu’il était mort. Ce qui a provoqué encore un peu plus d’émotion et d’agitation. Et les policiers étaient loin d’être les plus calmes. Une dizaine d’agents de la Police des airs et des frontières (Paf) est montée à bord .
La responsable de l’opération a désigné Michel Dubois, membre de notre équipe de tournage, comme étant le leader des protestations. Il a clairement servi de bouc émissaire, a été évacué de l’avion et placé en garde à vue. Ce qui n’a pas empêché une nouvelle vague d’indignation et de solidarité dans l’avion. Les passagers refusaient de s’asseoir malgré les appels au calme répétés du commandant de bord. Les passagers insistaient : « On ne part pas sans le monsieur » .

Dans le but de rétablir l’ordre, un policier a proposé un marché : la présence de Michel contre le réembarquement du sans-papiers. Ce qui était totalement impossible puisque l’homme se trouvait au pied de l’appareil, sous assistance respiratoire. On nous demandait d’être les complices de cette reconduite à la frontière. Un marché inacceptable. La proposition a d’ailleurs été très vite contredite par un des agents de la Paf. Nous avions le sentiment d’assister à une grande scène d’improvisation. Tout semblait hors de contrôle. Le vol a finalement été annulé.
Nous avons pris le suivant le lendemain matin. Dans l’avion se trouvait un autre sans-papiers. Mais cette fois, la reconduite à la frontière a eu lieu dans le calme. Nous pouvons toutefois affirmer que l’incident de la veille était loin de constituer une exception. Des habitués du vol Paris-Bamako nous ont confié que cela se produisait régulièrement.
Outre la brutalité des policiers, ce qui nous a le plus choqué dans cette histoire, c’est la répression de la solidarité. Et la façon dont ils ont présenté le Malien comme un homme dangereux.
Nous ne savons pas encore quelles poursuites vont être engagées contre Michel, qui a été relâché suite à quelques heures de garde-à-vue. Mais nous savons que le Malien est libre. La preuve qu’il ne s’agissait pas d’un repris de justice. Il prépare actuellement sa défense. En procès à Bobigny le 28 juin, il devra répondre de trois chefs d’accusation : coups et blessures sur un policier, opposition à une mesure d’éloignement et refus d’embarquement».

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