Les lutteurs de la nuit industrielle

Un nouveau spectacle de Pierre Meunier, autour
du travail et de la lutte contre l’oppression.

Gilles Costaz  • 7 juin 2007 abonné·es

Pierre Meunier faisait déjà de drôles de spectacles, avec des métaux, des boulons, des objets. Il avait pris le large vers des plateaux peu fréquentés, depuis ses débuts du côté du cirque. Sa nouvelle réalisation, les Egarés , est encore une recherche nouvelle puisqu’elle part d’une collaboration avec des patients d’un hôpital psychiatrique, à Ainay-le-Château, dans l’Allier. Meunier l’appelle modestement « création collective ». L’auteur de l’Homme de plein vent et du Tas y a mêlé son propre langage ­ son goût du burlesque et des matériaux du travail ouvrier ­ et les idées de ses partenaires, les mots, même, puisque l’un d’eux, Frédéric Kunze, a donné quelques textes à la partie parlée de la soirée.

On y parle peu, d’ailleurs, car les Egarés est un spectacle largement gestuel et atmosphérique. Quand on entre dans la salle, de faux techniciens, qui sont les acteurs, installent une sorte de lieu industriel, avec des poutrelles et des échelles. Un homme, qu’on prend un instant pour un fantaisiste et qui en a l’habileté, met le feu à sa veste puis disparaît avant de se retrouver, avec les autres, pris dans la tourmente d’un chantier. Les bruits s’amplifient : ça court, ça frappe, ça cogne. Un marteau pilon percute ses violentes notes d’enclume. On rit, on ne rit plus, on ne sait où l’on nous mène. Les acteurs interrompent le jeu pour reprendre la mise en place des outils sur la scène, puis repartent dans un tourbillon d’actions très sonores. Ils réussissent un miracle d’équilibre en donnant une nouvelle disposition aux échafaudages. Ils sont de moins en moins comiques et de plus en plus émouvants. Un ton politique se dévoile avec la révolte d’une femme répétant : « Nous sommes à genoux parce que vous êtes grands. »

Ensuite, le chantier s’efface. Les acteurs viennent dire quelques textes, extraits souvent du Courage des oiseaux , de Patrick Laupin. On entend un faux conte de fées dans lequel surgit sur la scène une énorme souche, une pieuvre de bois monstrueuse. Un acteur, après s’être dévêtu et aspergé d’eau, l’affronte dans un combat étrange. Le sens du spectacle est là, dans cette lutte contre tout ce qui abaisse ou défie l’homme, dans cette victoire que les plus humbles peuvent remporter contre les appareils les plus oppressifs.

La pièce a quelque chose de disparate qui peut dérouter. Rien n’y est fluide ni limpide. Fallait-il faire se succéder ces trois inspirations ou n’en garder qu’une ? Frédéric Kunze, Jean-Louis Coulloc’h, Valérie Larroque, François Tizon et Isabelle Védie ont une présence d’une étrangeté éminemment fraternelle, une grandeur qui vient de la douleur dépassée et un réel talent de comédiens. Il y a en tout cas, dans la pièce faite pour eux, et avec eux, par Pierre Meunier, quelque chose qui rejoint le mythique combat de l’ange avec le mal, et un bouleversant passage de la nuit au jour.

Culture
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