« On fait l’inverse de ce qu’il faudrait faire »

Responsable Île-de-France du SNPES-PJJ/FSU, Carlos Lopez revient sur l’ouverture de centres pénitentiaires pour mineurs.

Ingrid Merckx  • 21 juin 2007 abonné·es

Deux établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ont été inaugurés la semaine dernière à Lauvaur (Tarn) et à Meyzieu (Rhônes-Alpes). Que dire de la création de ces structures ?

Carlos Lopez : La loi Perben de 2002 prévoyait l’ouverture de sept EPM en France. Celui de Lauvaur, le premier à ouvrir, a été inauguré le 11 juin. En région parisienne, où deux EPM vont ouvrir, près de Meaux (Seine-et-Marne) et à Porcheville (Yvelines), plus de cinq structures d’hébergement ont fermé ces trois dernières années. Sans augmentation du budget global de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les EPM ponctionnent forcément les autres structures. Quand une structure d’hébergement ferme, une partie des postes sont redéployés au profit des structures d’enfermement. Les postes créés dans les EPM (36 éducateurs, 2 professeurs techniques, un chef de service, un directeur) ont été proposés à la mutation au personnel titulaire de la PJJ. Mais très peu y ont répondu. Les postes non pourvus ont donc été majoritairement attribués à des personnels contractuels. Ceux-ci ont reçu une formation, alors que la majorité des contractuels PJJ travaillant dans les structures éducatives n’en bénéficient pas.

Quelle est situation des structures de milieu ouvert ?

Les centres d’action éducative sont débordés. Les listes d’attente s’allongent, avec des différences selon les départements. En Seine-et-Marne, le centre d’action éducative de Melun accumule les dossiers non traités. Cet exemple se généralise malheureusement. Or, la situation d’un jeune non pris en charge dans des délais raisonnables se dégrade. Exemple très courant : la mesure d’investigation et d’orientation éducative où, pendant six mois, une équipe mène une action auprès du jeune et de sa famille. Si l’exécution de cette mesure prend du retard, l’action éducative sera inefficace ou vite expédiée. Même dérive à propos des mesures éducatives au pénal, de plus en plus remplacées par des mesures de contrôle et de probation. Plutôt que de décider une nouvelle loi répressive, il aurait fallu augmenter les moyens nécessaires pour les services éducatifs (milieu ouvert, hébergement, insertion). Devant la difficulté à trouver des réponses adaptées, l’incarcération de mineurs devient une facilité, voire un pis-aller. Mais un EPM n’est pas une structure éducative. Ce qui veut dire que les moyens que l’on n’a pas mis à l’extérieur, on les donne à la prison, en oubliant l’avant et l’après-période de détention. On sait que toutes les mesures antirécidive n’ont produit qu’une seule chose : de l’incarcération massive. Les places qui se créent en EPM vont être très vite remplies. La nouvelle orientation de la justice des mineurs va à l’envers de ce qu’il faudrait faire.

Ces décisions sont le fruit d’un discours qui sonne l’échec de l’éducatif. Qu’en pensez-vous ?

Tout dépend de quel type d’éducation il s’agit. Les structures d’éducation renforcées et les centres fermés sont effectivement en échec. Les mesures qui utilisent la coercition, la contention et la relégation ne fonctionnent pas. Ce qui donne des résultats, ce sont les prises en charge individualisées, avec un accompagnement et des solutions adaptées dans le temps, en accord avec la famille et prenant en compte le milieu social. Ce qui tombe comme une sanction non comprise, ou ce qui est vécu comme une relégation, conduit à une résistance ou à une révolte, et ne sert à rien. Il faut chercher un minimum d’adhésion auprès du jeune et de sa famille. Dans l’action éducative, il y a toujours une prise de risque. Mais on ne peut pas décider d’une politique globale en ciblant toujours les 10 % qui échappent « à toute solution ». L’émotion populaire suscitée par quelques situations dramatiques doit-elle justifier une remise en cause globale de la politique pénale en sacrifiant l’individualisation de la peine, et donc des possibilités de réinsertion ? Avec cette nouvelle loi, nous sommes dans l’idéologique. On donne l’illusion de pouvoir agir sur la réalité alors qu’elle est très complexe et a besoin de temps et de moyens pour donner des résultats satisfaisants, pour la société et pour les jeunes concernés.

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