Petit signe du destin

Denis Sieffert  • 21 juin 2007 abonné·es

Que s’est-il passé entre le 10 et le 17 juin qui transforme un triomphe de la droite en demi-succès de la gauche ? Sans aucun doute la prise de conscience d’une partie de l’électorat qui a été sensible à l’argument socialiste des contre-pouvoirs. C’est le fameux « correctif » cher aux politologues, mais qui, avouons-le, nous paraissait hautement improbable voici une semaine. Mais il n’y a pas que cela. Il s’y est ajouté un impondérable. Un accident de parcours nommé « TVA sociale ». Bien entendu, cet oxymore figurait depuis longtemps dans le discours de Nicolas Sarkozy. Mais il a suffi qu’au soir du premier tour, sur un plateau de télévision, Laurent Fabius apostrophe Jean-Louis Borloo sur le sujet pour que le piège se referme sur la droite : explications confuses du ministre de l’Économie, et plus alambiquées encore du Premier ministre, le lendemain. Question à cent euros : comment augmenter la TVA de cinq points sans que les prix augmentent et sans que le pouvoir d’achat des Français diminue ? Nos ministres nous ont fait là une belle réponse libérale que l’on peut résumer ainsi : les patrons qui empocheront en échange une diminution des charges ne manqueront pas de répercuter cette baisse sur les prix. Las, les Français n’ont pas trop gobé.

L’affaire n’est pas anecdotique. Avec elle, la politique est revenue par la petite porte. In extremis, les Français ont été confrontés à l’une des mesures les plus symboliques parmi les projets de la droite. Pour compenser des cadeaux fiscaux consentis aux catégories supérieures de la société, on ponctionnerait les « ménages » en surtaxant la consommation. Une fois de plus, la TVA, impôt le plus injuste de notre système fiscal, remplirait son office. Déconfite, la droite a puisé pour se défendre dans ses derniers arguments, faisant observer qu’au parti socialiste aussi la TVA sociale avait ses partisans. Exact. Le premier qui, il y a quelques années, en eut l’idée, c’est en effet Dominique Strauss-Kahn. Mais, loin de clouer le bec à ceux qui, au PS, ne se reconnaissent pas dans la version droitière de la social-démocratie de DSK, la référence achevait de donner un label « de gauche » à cette bataille de la 25e heure. Nous avons donc eu, pour finir cette interminable campagne électorale, un peu de vraie politique. Une courte semaine durant laquelle, pour la première fois, la gauche était à l’offensive sur un thème social. Comme un petit signe du destin au moment où il va bien falloir analyser les causes de la défaite, et songer à la suite.

Cet « accident » de campagne a sans doute permis d’atténuer l’ampleur de la victoire de la droite. Peut-être a-t-il décillé les yeux de certains Français sur la nature très « lutte de classes » des projets de Nicolas Sarkozy. Il a confirmé aussi que les législatives se prêtaient mieux à la politique. On y vote davantage pour des partis politiques et leur programme que pour des personnalités qui, pendant la présidentielle, n’ont de cesse au contraire de s’émanciper du collectif qui les a désignés comme candidats (ne voir là aucune allusion, même perfide, à la séparation, toute privée, d’une candidate avec un Premier secrétaire ­ même si l’on pourrait y apercevoir comme une sorte de métaphore institutionnelle des rapports entre le présidentiable et le parti…). Certes, l’épisode de la TVA sociale (on redevient sérieux) ne change rien sur le fond. Il n’a pas redonné d’identité au parti socialiste. Tout juste quelques indications à ceux qui voudront vraiment réfléchir et qui ne sont pas convaincus que la « rénovation » doit être le « faux nez » de la droitisation et des alliances avec le centre libéral. Les électeurs de gauche existent. En quelques jours, ils se sont mobilisés, permettant au PC de sauver la quasi-totalité de ses circonscriptions, aux Verts de conserver leurs positions, et à quelques socialistes en grande difficulté d’arracher la victoire sur le fil, comme Michèle Delaunay, la concurrente d’Alain Juppé à Bordeaux. Apparemment, après six mois de bataille, le paysage n’est guère bouleversé. C’est en profondeur que les choses ont bougé. La droite a remporté une victoire surtout idéologique. L’enjeu des prochaines années est simple : ou bien la bipolarisation se fait autour des thèmes de la droite, et alors la moitié de la population entrera en déshérence politique, ou bien du neuf apparaîtra à gauche. De ce côté-là, céder à l’illusion de chiffres honorables serait une faute historique.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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