Planches de salut
À Jénine, le Théâtre de la liberté offre un espace d’évasion aux enfants du camp de réfugiés. Il est soutenu par une association française, dont le président s’est récemment rendu sur place. Il raconte.
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Les planches plutôt que les pierres. Le jeu plutôt que la haine. Pour les garçons, l’envie de briller comme acteur plutôt qu’en martyr. Et pour les filles, en sus, l’évasion par les mots pour fuir « l’horizon des casseroles » . Le Freedom Theatre de Jénine, le Théâtre de la liberté, c’est un peu tout cela à la fois. Dans cette ville du nord de la Cisjordanie, 15 000 des 50 000 habitants vivent dans le camp de réfugiés. Depuis l’invasion sauvage de Tsahal en avril 2002, qui considère l’endroit comme une pépinière de kamikazes, contrôles, interventions musclées et assassinats rythment le quotidien du camp. Rien n’échappe aux enfants, nourris et marqués au fer par ces expériences. Pour tenter de les arracher à ce destin et à l’inexorable logique de vengeance, le comédien Juliano Mer Khamis décide, fin 2005, de relancer le Théâtre de la liberté.
Après avoir fermé ses portes en 1995, le Théâtre de la liberté a repris vie fin 2005. GREILSAMER
Palestinien par son père, Juliano est aussi le fils d’une mère juive, l’Israélienne Arna Mer Khamis. Un temps membre du Parti communiste israélien, puis militante active au sein de la gauche radicale, celle-ci est décrite par une ancienne connaissance comme une farouche opposante à « tout nationalisme » . Arna « exprimait son profond mépris pour l’obscurantisme, le machisme, l’arrogance. En même temps, elle déployait une attitude pédagogique pour apporter des valeurs d’émancipation à son entourage, notamment envers ceux qui subissent une situation de domination ».
Durant la première Intifada (1987-1991), Arna se rend à Jénine et inaugure un système d’éducation alternative pour palier la fermeture des écoles. Elle en profite pour monter une troupe de théâtre avec les enfants du camp. Grâce à la dotation du prix Nobel alternatif remis chaque année en Suède, elle finance un petit théâtre au coeur du camp. Le projet s’arrête avec le décès d’Arna, des suites d’un cancer, en 1995. Dans l’intervalle, son fils Juliano aura été l’un des animateurs du lieu. De 1989 à 1995, il filme les répétitions et les représentations des pièces. Des bandes qui serviront de matière première au documentaire qu’il réalise, les Enfants d’Arna ^2 salué par la critique. Aidé par le succès du film, le soutien de professionnels du spectacle du monde entier mais aussi l’énergie du réseau associatif du camp de réfugiés de Jénine et la volonté de Juliano Mer Khamis, le théâtre revit depuis la fin de l’année 2005.
Jean-Guy Greilsamer, président des Amis du Théâtre de la liberté de Jénine [^3] et membre de l’Union juive française pour la paix, a passé deux jours sur place, en avril dernier. Il raconte~: « Le Théâtre de la liberté donne l’impression d’un grand centre culturel aménagé avec goût. Les jeunes présents m’accueillent spontanément, j’ai l’impression que nous nous connaissons déjà. Dans la seconde aile du bâtiment, je découvre un théâtre neuf de 200 places avec gradins, projecteurs et matériel acoustique, et une salle de répétition et de musique avec moquette. » Jean-Guy, qui n’éprouvait pas le besoin de se « manifester en tant que Juif » avant la seconde Intifada et « l’accentuation de cette horrible politique » , assiste également à une séance d’entraînement théâtral avec les filles de la troupe, dirigées par Juliano. La visite du camp de Jénine est un choc~: « Après l’invasion de 2002, de nombreuses rues ont été reconstruites. Les maisons ont été rebâties d’un côté de la rue, celui qui a été défoncé par les chars. Ces maisons se reconnaissent par leur couleur crème. On croise de nombreuses affiches et photographies de martyrs et d’hommes politiques arabes « pro-palestiniens », de Nasser à Saddam Hussein.~» Après la visite du cimetière, où il remarque les « tombes de martyrs, modestes et fleuries » , Jean-Guy Greilsamer découvre le terrain en friche sur lequel sera construit le nouveau Théâtre de la liberté~: «~Il sera plus grand, dans un environnement moins sonore, et son architecture permettra une meilleure acoustique. L’endroit aura pour mission de devenir un pôle culturel pour tout le public du Nord de la Cisjordanie.~» En attendant l’inauguration des nouveaux locaux, le visiteur se dit frappé «~par le côté maison de jeunes » du bâtiment actuel *. « Ce théâtre, c’est comme un chez-soi, un îlot où les enfants et les adolescents peuvent avoir une vie un tant soit peu normale. »*
En France, l’association de soutien cherche bien sûr à collecter des fonds, mais pas seulement~: «~Nous souhaitons aussi sensibiliser un maximum de citoyens sur la situation en Palestine. Alerter les milieux culturels est aussi l’une de nos priorités » , résume le président. Car l’unique théâtre du nord de la Palestine a besoin d’aide. Au-delà des chèques, les échanges avec des animateurs internationaux, qu’ils soient acteurs, décorateurs, professeurs de théâtre, metteurs en scène ou psychomotriciens, sont indispensables. Même si la solution miracle à la tentation de la guerre n’existe pas, face à « leur situation d’oppression et de répression, il faut permettre aux enfants de libérer leur créativité et de développer des activités culturelles » , résume Jean-Guy Greilsamer. Avec, en guise de fil rouge, une seule motivation~: résister par la culture.
[^3]: Dons et adhésions (20 et 10 euros) à : ATL Jénine, Maison des associations du XVIIIe arrondissement, boîte aux lettres 84, 15, passage Ramey, 75018 Paris, .
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