Quatre mois ferme, pour la peine…

Un jeune participant aux manifestations du 6 mai, place de la Bastille, est incarcéré à Fleury-Mérogis. Ses amis se mobilisent et dénoncent une injustice. Romain a-t-il été condamné pour l’exemple ?

Xavier Frison  • 7 juin 2007 abonné·es
Quatre mois ferme, pour la peine…

Ah ! Paris, sa place de la Bastille, ses cafés… et ses arrestations arbitraires. Romain, un journaliste de 29 ans spécialisé dans la musique, connaît la douceur de cette place, carrefour branché du Marais et du XIe arrondissement. Depuis le 6 mai, il sait aussi qu’une vie peut, en un instant, y basculer. Ce soir-là, il est environ 22 heures quand il arrive à la Bastille, accompagné de ses amis Laure, Guilhem, Marie et Mehdi. Comme nombre de leurs concitoyens, les cinq jeunes gens baladent leur spleen dans les rues de la capitale, peu après l’annonce des résultats du second tour de la présidentielle. Ils ont la trentaine, travaillent dans la communication, les médias et la musique. Tous ont le coeur à gauche, mais aucun n’a sa carte dans un parti. « Ni activistes, ni manipulés par de quelconques groupuscules politiques » , ils viennent « en touristes déçus du résultat » , selon les mots de Guilhem, chercher un peu de réconfort moral dans la débâcle. Mais la Bastille, lieu traditionnel de rassemblement du peuple de gauche aux grandes échéances électorales, est sous tension. Tandis que la plupart des participants, dont Romain, manifestent dans le calme, les forces de l’ordre et certains « casseurs et activistes enragés » sont en train d’en découdre. La police a cadenassé l’accès à la place.

Illustration - Quatre mois ferme, pour la peine…


SAT

Ni les gaz lacrymogènes ni les charges de CRS ne sélectionnent les cibles. « À chaque fois que nous nous faisons gazer, nous sommes repoussés sur d’autres groupes de CRS , raconte Guilhem. Ça commence à dégénérer, les camions de lances à eau arrivent. » La police charge même jusqu’en haut des marches de l’Opéra. « Sévèrement gazés » , les cinq amis s’égarent et se retrouvent, au gré de la confusion et de l’épaisse fumée qui règne sur la place. Romain, mal inspiré, ramasse un pavé. « Il voulait le rapporter chez lui comme souvenir , témoigne Guilhem, témoin direct des événements. Il avait les yeux éclatés par la lacrymo et se les frottait avec sa manche, il lui était impossible de lancer quoi que ce soit. » Seulement, des policiers en civil repèrent le jeune homme et son butin. Tout va très vite. « Ils le plaquent violemment au sol et le menottent, avant de le ramener derrière un mur de CRS, reprend Guilhem, qui ajoute, avec discernement : Je peux comprendre l’arrestation. Il peut y avoir un doute, dans la confusion.. . » Rapidement dissuadés de protester par des policiers menaçants, les amis de Romain sont persuadés que le quiproquo ne durera pas au-delà de la garde à vue. Erreur.

Jugé en comparution immédiate, le 9 mai, Romain écope de quatre mois de prison ferme. Ses proches n’ont pas la possibilité de témoigner en sa faveur. Le seul élément à charge contre lui se résume à deux procès-verbaux établis par l’officier de police à l’origine de l’arrestation. Soit le procès verbal de l’interpellation et celui de la confrontation, pendant la garde à vue. La version du policier est claire : Romain aurait jeté trois pavés et s’apprêtait à en expédier un quatrième. « Si tel était le cas, comment se fait-il que le policier ait attendu de voir Romain lancer trois pavés avant de l’interpeller ? » , s’interroge Guilhem. Quoi qu’il en soit, Romain est immédiatement incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pour « tentative de violence sur personne dépositaire de l’autorité publique » . Ses proches sont abasourdis. Pour son avocat actuel, qui intervient à titre amical en relais de l’avocat commis d’office présent lors de l’audience, « ce qui choque dans cette affaire, c’est l’extrême sévérité de la peine alors même que le casier de Romain est vierge » . D’autant que personne n’a été blessé, et pour cause… « C’est parole contre parole » , résume l’avocat. Du point de vue de la procédure, « on peut considérer que le droit a été respecté. Mais la mesure et la sévérité de la peine sont très contestables. Romain aura du mal à s’en remettre. »

Décrit comme « une personnalité attachante, un grand timide, rêveur, parfois naïf » , Romain subit en ce moment même la dure réalité de la prison. À Fleury, il côtoie des délinquants lourds, dans un monde inconnu de lui, où règne la loi du plus fort. D’abord isolé de ses codétenus par certains personnels pénitentiaires compréhensifs, il est désormais un détenu comme les autres. Gonzague, un de ses anciens collègues sur la chaîne de télévision MCM et membre du même groupe de musique que lui, raconte avec pudeur ces moments difficiles : « Il apprend à vivre sa détention, ce n’est pas évident. Ses parents viennent enfin d’obtenir un droit de visite. Ses amis n’y ont pas eu droit jusqu’à présent, c’est scandaleux. À part son avocat, lors des quinze premiers jours, il n’a pu voir personne. Nous recevons quand même ses lettres, avec beaucoup de délai. Il garde le sens de l’humour. Mais l’univers carcéral est fait d’intimidation, il y a des règles à apprendre, il faut qu’il ait l’air dur alors que ce n’est pas son caractère, tout en faisant profil bas. Il prend sur lui pendant les promenades, il a un peu peur. » Pour Fabienne, une autre amie de MCM, « il n’est pas à sa place, il n’a rien à faire là. Il se tient à carreau, ne doit pas porter de vêtements de marque. On découvre tout ça avec lui. » Transmettre du linge propre est une gageure. L’argent envoyé lui parvient au compte-gouttes, avec beaucoup de retard. Pourtant, en prison, où « tout s’achète » , c’est le nerf de la guerre. « Il est déprimé de se dire qu’il en a pour plusieurs mois » , lâche son avocat.

Les différents dispositifs légaux devraient octroyer à Romain quarante-neuf jours de remises de peine. Soit une libération espérée pour le 19 juillet. En attendant, ses proches organisent une mobilisation. Un concert de soutien [^2], parrainé par Jamel Debbouze et Serge Teyssot-Gay, le guitariste de Noir Désir, aura lieu le 22 juin au Point éphémère, à Paris. Un blog ^3 est également créé. Chacun est encouragé à y écrire un mot de soutien à Romain, qui lui sera transmis en prison. Ses amis n’oublient pas non plus les autres personnes arrêtées le même jour pour des motifs aussi flous, et condamnées tout aussi arbitrairement : « Il existe d’autres cas comparables à celui de Romain , explique son avocat. L’un a pris quatre mois ferme, un autre deux mois. D’autres encore vont être jugés bientôt, à la suite de leur demande de report d’audience lors de la comparution immédiate. »

L’entourage de Romain invite les soutiens de ces compagnons d’infortune à le contacter : « Notre démarche cherche à étendre le cas de Romain à une cause plus large » , explique Gonzague. Celle du droit à manifester pacifiquement une opinion.

[^2]: Point éphémère, 200, quai de Valmy, 75010 Paris, 01 40 34 02 48, .

Temps de lecture : 6 minutes