Vie et dessin

Les à-plats noir et blanc de Marjane Satrapi gagnent à l’écran une profondeur bienvenue. Chronique intime et autodérision.

Ingrid Merckx  • 28 juin 2007 abonné·es

En passant du papier à l’écran, Persepolis a gagné des décors. De beaux dégradés de gris, riches de détails quand ils dessinent des palais iraniens ou des architectures viennoises, lourds de violence quand ils montrent un immeuble en ruine ou une scène de guerre. Ces décors font bien plus qu’habiller les noir et blanc secs de Marjane Satrapi, ils leur offrent une profondeur de champ. Aux sens graphique et symbolique, puisqu’ils ajoutent une dimension supplémentaire aux à-plats de personnages. Les figures parlantes créées par la bédéiste iranienne (elle-même, ses parents, sa grand-mère, ceux qu’elle a croisés les dix-huit premières années de sa vie…) voient donc parfois, dans le néant qui les entoure, arriver des éléments du monde ou de leur imaginaire. Autre style, autre ton, ils donnent du coffre à l’univers strict des planches originelles.

Illustration - Vie et dessin

DR.

On peut y voir la trace de Vincent Paronnaud, alias Winschluss, bédéiste et réalisateur français avec lequel Marjane Satrapi a travaillé à l’adaptation de son autobiographie dessinée. Mais l’effet graphique est-il seulement décoratif ? Parce que les dessins de Marjane Satrapi, assez schématiques, viennent flatter la bonne conscience de gauche, contente de voir une partie de ses clichés sur l’Iran confirmés par une jeune femme qui a vécu la chute du shah à l’âge de 8 ans, l’instauration de la République islamique à l’heure de ses premiers disques de rock, les retombées de la guerre Iran-Irak à l’adolescence, et l’exil, en Autriche puis en France, où elle vit maintenant. Ce que Marjane Satrapi dit de son pays est peut-être aussi binaire que ses cases : il y a les mollahs et les révolutionnaires, les islamistes et les insoumis, le pouvoir répressif et les souffrances d’un peuple qui subit. Et, comme personnage principal, une jeune bourgeoise de Téhéran, francophone et francophile, aux traits universels et à la langue bien pendue. Pas de quoi plonger dans la complexité de la société iranienne, pas de quoi incarner une résistante non plus. C’est pourtant avec cette image de résistante que l’enfant, puis l’adolescente, se débat. Écrasée par le poids de l’héritage ­ un oncle révolutionnaire mort en prison, une grand-mère qui encaisse l’hécatombe avec un détachement singulier. Rongée, aussi, par la culpabilité d’être envoyée à l’étranger, à Vienne, où Marjane découvre l’indolence, à l’abri des bombes.

Son regard sur l’Iran réjouit en France ( Persepolis a été ovationné au festival de Cannes) et irrite le pouvoir iranien. Ce n’est évidemment pas anodin. Pourtant, ce que Marjane Satrapi dit d’elle-même, la manière dont elle se met en scène, presque complaisante avec l’amusante petite fille, plutôt sévère avec l’adolescente, sont la preuve d’un esprit affûté et d’une drôle de propension à l’autodérision. Le montage et l’animation des images témoignent de l’invention déployée pour conserver l’énergie des planches. Mais ce que Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud réussissent le mieux, interrompant la voix doucement rauque de Chiara Mastroiani (qui double Marjane), écarquillant les yeux du personnage principal, c’est à exprimer la stupeur, douloureuse ou morbide. Le vertige qui suit, et ses ondes de choc, acides ou mélancoliques.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes