Comment sortir de l’urgence ?

Le plan de réforme du dispositif d’aide aux sans-abri lancé l’hiver dernier
ne donne pas, pour l’heure, de résultats concluants. En cause : le manque de moyens, la réduction du nombre de places et l’absence de vision à long terme.

Xavier Frison  • 26 juillet 2007 abonné·es
Comment sortir de l’urgence ?
© Fnars, 76, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris, 01~48~01~82~00

Cet hiver, ils avaient fait grand bruit, serrés en rangs d’oignons sous les tentes détrempées du canal Saint-Martin, à Paris. Et si les Enfants de Don Quichotte et leur porte-parole Augustin Legrand font aujourd’hui beaucoup moins parler d’eux -la plupart sont relogés-, le séisme médiatique provoqué par leur mobilisation n’est pas resté sans effet. À la suite de la loi sur le droit au logement opposable, adoptée le 5 mars 2007, les pouvoirs publics ont annoncé, le 8 janvier, un vaste Plan d’action renforcé pour les personnes sans abri (Parsa). Une initiative plus que nécessaire, tant les conditions d’accueil et de suivi des populations les plus fragiles sont aujourd’hui chaotiques.

Ce plan prévoit notamment l’extension des horaires des centres d’hébergement d’urgence pour un accueil de 17 h à 9 h du matin et 24 h/24 les week-ends, la transformation de places d’hébergement d’urgence en « places de stabilisation » ou de centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), et l’accélération du programme de création de maisons-relais. Le coût de l’ensemble de ces mesures est estimé à 70 millions d’euros.

Illustration - Comment sortir de l’urgence ?


Des tentes pour les sans-abri installées par les Enfants de Don Quichotte à Nice, en avril 2007. HACHE/AFP

Pour mesurer l’effet des premières actions menées, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion (Fnars) www.fnars.org a lancé une vaste enquête. L’objectif étant, sur la durée, « d’observer les situations sur le terrain, d’identifier les transformations en cours, les avancées accomplies, ainsi que les difficultés rencontrées ». La fédération, forte de 750 associations ou organismes gérant 45 000 places d’hébergement et de logement temporaire pour 600 000 personnes en difficulté accueillies chaque année, fonde ses conclusions provisoires sur les réponses de 115 questionnaires recueillis entre avril et mai derniers auprès de ses structures d’urgence. Elles concernent 7 800 places, dont 4 225 en hébergement d’urgence, sur l’ensemble du territoire. Bien sûr, une telle enquête d’étape, réalisée dans des délais très courts, ne peut être ni exhaustive ni définitive. Elle dresse néanmoins un tableau intéressant de la situation, six mois après le démarrage du plan.

Premier enseignement, environ deux tiers des établissements ayant répondu à l’enquête ont effectué des changements depuis le lancement du Parsa. Ceux-ci concernent essentiellement les capacités d’accueil des établissements, avec la transformation de « lits d’urgence » en « lits de stabilisation ». Soit, en clair, l’instauration du principe de « continuité de l’accueil », qui supprime la limitation de la durée de séjour. Même si peu d’établissements ont été associés aux négociations territoriales et ont eu connaissance des enveloppes budgétaires, « les changements ont majoritairement été suivis de moyens supplémentaires » , notamment pour la transformation des lits et le recrutement de personnel qualifié.

Malgré tout, les moyens sont encore trop souvent « en cours de négociation » selon de nombreux établissements. Ces derniers, en vieux habitués des effets d’annonce, redoutent que la cassette soit légère pour financer les mesures préconisées. Autre signe d’inquiétude, un tiers des établissements ayant répondu à l’enquête n’ont rien changé dans leur fonctionnement.

Principales raisons évoquées : les financements supplémentaires, jugés insuffisants, mais aussi le manque de visibilité sur le concept de lits de stabilisation, dispositif expérimental dont l’évaluation n’a pas, à ce jour, été rendue officielle. Autre grief, la frontière entre l’hébergement d’urgence et l’hébergement d’insertion, qui nécessite un accompagnement social plus important, se réduit, « voire perd son sens » . En outre, la réduction drastique du nombre de places d’urgence annoncée dans le Parsa inquiète : « Il semble qu’il y ait bien un public non négligeable qui relève de l’urgence. »

Doit-on conserver ce dispositif ? « Il faut garder une marge de manoeuvre dans les grandes villes pour s’adapter à une situation très mouvante » , juge Nicole Maestracci, présidente de la Fnars, tout en rappelant qu’en théorie, « l’hébergement d’urgence ne devrait subsister que pour gérer les situations imprévisibles comme les catastrophes naturelles ou humanitaires » . En outre, le rapport d’étape pointe le « manque de solutions de sortie » pour les hébergés, ce qui « sature le dispositif d’hébergement et invalide le travail d’accompagnement mené par les professionnels. » Enfin, les publics présentant des problèmes « particulièrement complexes » (sans-papiers, grands marginaux), risquent de pâtir d’une sélection accrue à l’entrée des centres.

L’adieu à la rue des personnes sans abri n’est selon toute vraisemblance pas pour demain. « Il est trop tôt pour le dire , nuance Nicole Maestracci. On va dans le bon sens, mais proposer des solutions durables pour des gens en grande difficulté ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Il faut du temps et des travailleurs sociaux solides et expérimentés. » Et la présidente de la Fnars de fustiger le manque d’évaluation : sans une indispensable « analyse territoriale des besoins » , il paraît illusoire de vouloir réformer efficacement la prise en charge et le suivi global des personnes en difficulté. « Nous demandons que l’État mette en place des objectifs clairs et des tableaux de bord pour chaque territoire, insiste Nicole Maestracci *, mais rien n’est encore prévu. »*

La culture du résultat chiffré, si chère au président de la République, n’a visiblement pas encore franchi le seuil de la solidarité. Pourtant, les besoins et les spécificités varient énormément d’un secteur à un autre, entre cherté des locaux à Paris, isolement extrême en zone rurale, jeunes de 18 à 25 ans ici, déboutés de l’asile là, femmes avec enfants ailleurs. Quant aux plus démunis, « ils ne demandent souvent rien. Il faut une connaissance très fine du territoire pour les identifier » .

Le doute est également de mise sur l’efficacité de la prise en charge globale, pourtant réclamée depuis longtemps par les associations. Or, les dispositifs d’accompagnement à la formation ou à l’emploi « restent assez cloisonnés » , estime Nicole Maestracci : « On ne sait pas bien organiser un accompagnement social qui suive efficacement les gens dans la durée, et le nouveau dispositif ne répond toujours pas à ce besoin. » Ainsi, rien n’est prévu dans le Parsa pour les 18-25 ans, un public toujours plus nombreux et souvent sans ressources. La prochaine enquête est prévue à la fin de l’année. Rendez-vous est pris, un an tout juste après l’intervention des Don Quichotte.

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