La bande-son de Mai

Ce printemps 1968, on entend les Beatles, les Doors, Jimi Hendrix, mais aussi Julien Clerc ou les Aphrodite’s Childs. Ambiance.

Éric Tandy  • 26 juillet 2007 abonné·es

Lorsque l’on interroge, un peu au hasard, certains acteurs de Mai68 sur ce qu’ils écoutaient pendant les événements, les réponses se bousculent tout en étant rarement les mêmes. Chacun a son genre, chacun a sa version, chacun brandit sa musique favorite en jurant que tout le monde écoutait la même… C’est pourtant en entendant l’un des interlocuteurs expliquer que « 1968, c’était la fin des années1960 » , une remarque qui dépasse vite sa simple logique de départ, que l’on comprend mieux les choses et leur diversité. C’est en effet au tout début des bouillonnantes sixties qu’est apparue pour la première fois en France une musique (appelée rock’n’roll ou « yéyé » selon son degré de crédibilité) spécifiquement destinée à la jeune génération. Relayée par un magazine et une émission de radio marquante pour l’époque (« Salut les copains »), elle est devenue un point de repère pour tous les teenagers qui ne se retrouvaient pas dans ce qu’aimaient leurs parents, ou même leurs grands frères et leurs grandes soeurs.

Et quand, quelques années plus tard, les Rolling Stones et les Beatles, et avec eux toute une cohorte de nouveaux groupes anglais, sont arrivés, beaucoup de ces anciens « copains » ont vite compris qu’il ne s’agissait plus de suivre une simple mode ou d’aller « twister » ou « jerker » béatement, mais bien d’affirmer une identité (avec ses cheveux longs) et de contester le monde des adultes… Cela donnera les premières émeutes lors de concerts (pendant lesquels, au départ, on devait rester assis~!), mais aussi un vif intérêt pour tout ce qui s’apparentait déjà à une ébauche de contre-culture n’ayant plus rien à voir avec l’insouciance des années yéyés. La musique des adolescents avait grandi avec eux et devenait du coup adulte et plus complexe. En cela, en effet, « 1968, c’était la fin des années1960 »

Un animateur de radio qui a vécu le mois de mai à l’intérieur d’un « comité cinéma », à Paris, se remémore d’ailleurs parfaitement le contexte~: « Pour nous, tout était lié. On découvrait en même temps la série noire, les films américains et Dylan. Le rock du moment correspondait à un courant de pensée de jeunes baby-boomers qui ne se sentaient pas à l’aise dans le monde étriqué qu’on leur imposait. » La « contre-culture » naissante, que l’on appelait plus fréquemment « underground » (une sorte de label de garantie « non commerciale »~!) avait ses chantres médiatiques~; comme le tout jeune magazine Rock&Folk ou « Bouton rouge », la première émission de musique « pop » de l’ORTF, qui transmettait, par exemple, en février 1968, un miniconcert de Pink Floyd~: un groupe qui allait par la suite être écouté dans les facs occupées.

Si l’on se réfère aux souvenirs de ceux qui ont traversé l’événement en musique, la bande sonore de Mai68 était constituée de morceaux des Beatles, des Stones ou de Jimi Hendrix~; mais aussi de disques de groupes américains encore obscurs, comme les Doors ou le Jefferson Airplane. Lesquels tournaient sur les électrophones (les chaînes stéréo étant encore des objets de luxe réservés à la musique classique) ou sur les ondes des radios pirates captées dans des régions proches de la Manche. La seule station (que l’on surnomma d’ailleurs « Radio barricades ») qui continuait à émettre dans le pays étant Europe n° 1. France Inter, en grève, diffusait de son côté en boucle des bandes musicales préenregistrées. Ce qui fit d’ailleurs le bonheur de Julien Clerc et de sa chanson « la Cavalerie », qui, à force d’être continuellement entendue par des millions de personnes, devint par la suite l’un des grands succès de l’année.

Pop, rock, parfois même chanson (on sait, par exemple, que Brassens, alors cloué sur un lit d’hôpital, montra beaucoup de sympathie pour le mouvement) pouvaient, selon les goûts, illustrer ce printemps-là. Mais pour ceux qui ne songeaient pas à séparer musique et militantisme, un autre son s’imposait de lui-même, celui du free jazz et de musiciens blacks radicaux comme Marion Brown ou Archie Shepp.

Quant au seul tube réellement issu de Mai68, il sortit après les événements. Ses interprètes, les Aphrodite’s Child, trois musiciens grecs partis tenter leur chance à Londres mais bloqués à Orly par les grèves, l’enregistrèrent à Paris. La chanson s’appelait « Rain and Tears », elle ne parlait pas uniquement de chagrin amoureux, mais évoquait aussi en filigrane les gaz lacrymos…

Société
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