« L’écologie permet de rénover la pensée de la gauche »

Selon André Cicolella, responsable de la Commission santé
des Verts, l’avenir
de la Sécu et le Grenelle de l’environ-nement constituent un même enjeu pour la gauche.

André Cicolella  • 19 juillet 2007 abonné·es

Franchises médicales et TVA sociale ont fait la une de la dernière semaine de campagne. On a vu, à cette occasion, pour qui en doutait encore, que les questions touchant à la Sécu étaient des questions ultrasensibles dans l’opinion, au point de peser de façon décisive sur l’issue des législatives et d’assurer à la gauche une défaite avec les honneurs, là où s’annonçait un raz de marée UMP. Dommage que cette question n’ait pas été au coeur de la campagne du premier tour ! Cette question de l’avenir de notre système de santé et d’assurance-maladie sera à l’agenda de la rentrée avec le plan de financement de la Sécurité sociale. Il serait trompeur pour la gauche d’aborder cette échéance avec le raisonnement développé ces dernières semaines. La « victoire » toute relative des législatives peut donner à croire qu’il suffit de continuer d’enfoncer le clou. Or, la gauche ne peut pas faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur cette question. On tient là un exemple emblématique de la nécessité de rénover la pensée de la gauche par l’écologie en matière de santé et d’assurance-maladie, et plus largement de la nécessité pour la gauche de rompre avec le productivisme.

Les échanges entre gauche et droite se sont déroulés en effet selon un scénario bien rodé. La droite a plaidé la responsabilisation des assurés et la baisse des charges sur le travail. La gauche a dénoncé le caractère socialement injuste de ces mesures. La cause était donc entendue, il y a bien un clivage gauche-droite sur les moyens à mettre en place pour faire face au déficit de l’assurance-maladie. Bien évidemment, l’argument de la droite n’a pas de sens, car aucune des mesures de ce type prises dans le passé n’a eu comme effet de maîtriser les dépenses de santé. Au contraire, cela ne peut qu’approfondir les inégalités. De cela, la droite se soucie peu. Son objectif est visiblement de remettre en cause le système de solidarité et d’ouvrir un espace aux assurances privées. C’est ce qui a été fait aux Pays-Bas depuis janvier 2006. Faut-il en rester là, dans cette dénonciation de la menace de privatisation ? Oui, car la menace est réelle. Non, car ce serait passer à côté du coeur du problème, qui est la situation sanitaire. Curieusement, à gauche comme à droite, on raisonne économie avant de raisonner santé. Ce qui frappe dans ce débat, c’est le consensus implicite sur le fait que les dépenses de santé ont vocation à augmenter en raison, nous dit-on, du vieillissement et du progrès médical, et elles sont même en soi un facteur de croissance.

La campagne entre les deux principaux candidats à la présidentielle n’a pas fait apparaître de clivage en ce domaine. Pour Nicolas Sarkozy, « la santé n’est pas un coût, c’est un investissement, une richesse, des emplois, de la croissance, et surtout un bien-être qui n’a aucun prix » ( Mon Projet – Ensemble tout devient possible ). Ségolène Royal n’a pas dit autre chose : « Nous savons que, dans tous les pays industrialisés, de puissants facteurs agissent sur la dépense, comme le vieillissement, le progrès technique ou tout simplement la croissance démographique » ( Panorama du médecin, 5 mars 2007). Gauche et droite se retrouvent ainsi d’accord avec l’industrie pharmaceutique, pour qui « la progression des dépenses de santé doit être vue comme une chance pour la croissance » (questionnaire des entreprises du médicament ­ le Leem ­ envoyé aux candidats à la présidentielle).

Pourtant, les données sont là, indiscutables. Un exemple : en plein coeur du débat avant le second tour des législatives, la Cnam publiait ses chiffres sur l’explosion du diabète. En 2005, celui-ci a représenté un coût annuel pour l’assurance-maladie de 1,8 milliard d’euros, soit deux fois plus qu’en 2000. En 2006, 2 325 000 patients sont pris en charge à ce titre ; parmi eux, 79 % sont couverts totalement au titre d’une ALD (affection de longue durée). Les prévisions pour 2016 sont de 2,8 millions de diabétiques (soit un taux de prévalence d’environ 4,5 %). Cette croissance est le fait du diabète de type 2, celui qui n’est pas d’origine génétique et dont la cause est connue : l’obésité multiplie par 9 et le surpoids par 4,5 le taux de diabète de type 2. L’obésité et le surpoids touchent aujourd’hui près de la moitié de la population française. Alimentation et sédentarité sont en cause, sans oublier la pression publicitaire qui pousse à l’hyperconsommation. L’approche thérapeutique classique basée sur la consommation médicamenteuse se traduit par un échec. Qui peut penser que l’on arrêtera l’épidémie d’obésité par le médicament, comme essaie de le faire croire Sanofi-Aventis en lançant son médicament Acomplia, dont elle espère faire un blockbuster , ces médicaments à plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires par an ? On sait que le meilleur traitement, c’est un régime hypocalorique et l’activité physique. Alors, dans ces conditions, vouloir continuer à augmenter ce type de dépenses de santé, est-ce vraiment une politique de gauche ?

Le cas du diabète n’est pas isolé. Plus globalement, ce qui est en cause, c’est l’épidémie de maladies chroniques. L’Organisation mondiale de la santé (OMS Europe) a rappelé dans sa déclaration du 11 septembre 2006 l’urgence d’agir pour faire face à cette épidémie, car, dit-elle, avec 86 % des causes de décès et 77 % des causes de morbidité, celles-ci représentent un danger majeur pour la pérennité des systèmes de santé.

L’OMS ne se contente pas de faire un constat. Elle affirme qu’il serait possible d’éviter 80 % des maladies cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux et des cas de diabète de type 2, et 40 % des cancers. Utopie ? Au Danemark, la part des dépenses de santé dans le PIB est passée entre 1970 et 2004 de 8 % à 8,9 %, alors qu’elle doublait en France (de 5,4 % à 10,5 %). La Finlande a diminué ses dépenses entre 1990 et 2004 (de 7,8 % à 7,5 %). Pourtant, les Danois et les Finlandais vieillissent et bénéficient aussi du progrès technique… La différence vient principalement du fait que les pays nordiques ont mené, depuis plusieurs décennies, des politiques d’action sur les facteurs de risque, dont ils touchent aujourd’hui les dividendes en termes principalement de baisse des maladies cardiovasculaires et donc de coût.

En France, on assiste à l’inverse, de façon fataliste, à l’explosion des affections de longue durée : + 73 % en dix ans ; 12 % des assurés sont en ALD, mais ils représentent 60 % des dépenses, concentrées sur quatre groupes d’ALD (cancer, diabète, maladies cardiovasculaires et affections mentales). Le cancer a progressé de 63 % en vingt ans, et touche un homme sur deux et une femme sur trois. Le changement démographique n’explique que 28 % de cette progression, donc 35 % sont à attribuer à l’environnement. Quand, par ailleurs, le cancer de l’enfant progresse de 1 % par an depuis trente ans en Europe, comment peut-on encore nier les causes environnementales de l’épidémie, comme le fait pourtant le plan Cancer, alors que son objectif de – 20 % en 2007 ne sera pas atteint ? Peut-on considérer comme une croissance saine celle de l’industrie pharmaceutique, pour laquelle les médicaments de chimiothérapie sont devenus aujourd’hui le segment le plus rentable avec une progression de 20 % par an ? On pourrait aussi parler des allergies, dont le taux a doublé en vingt ans, ou de l’infertilité, qui touche un couple sur sept, des maladies neurodégénératives… Tous phénomènes dont le coût devient de plus en plus important et dont la composante environnementale est également indiscutable.

Ces exemples montrent qu’il est temps de changer de paradigme en matière de santé. On ne peut faire face aux épidémies modernes avec les logiques classiques purement curatives. L’hyperconsommation de médicaments est rentable pour l’industrie pharmaceutique, mais le bénéfice est moins évident en termes de santé. Un exemple criant : la consommation des statines [anticholestérol, NDLR] coûte près d’un milliard d’euros et ne serait justifiée que dans un cas sur vingt [^2]. Il faut avoir le courage politique de réduire la consommation de médicaments et d’affecter ces sommes à d’autres acteurs de santé plus efficaces. Plus largement, la liberté des producteurs de risque doit passer derrière les choix de santé. Le règlement européen Reach va dans ce sens en imposant à l’industrie chimique d’évaluer les substances mises sur le marché depuis des décennies, et par conséquent d’éliminer les substances les plus toxiques de notre environnement.

L’épidémie d’obésité impose d’urgence un plan national nutrition alimentation. Un exemple éclairant : l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) estime que l’excès de sel est responsable de 22 % des accidents vasculaires cérébraux et de 16 % des infarctus du myocarde. Qu’attend-on pour le diminuer, comme les Finlandais l’ont fait, dans l’alimentation industrielle ? La Suède a interdit la publicité alimentaire pour les enfants de moins de 12 ans, pourquoi pas nous ? Il y a six fois plus de morts dus à la pollution atmosphérique que par accidents de la route. Qu’attend-on pour imposer un développement rigoureux des transports publics et réduire drastiquement la circulation des voitures en ville ? Les accidents domestiques, c’est 18 000 morts par an et 10 % des dépenses de santé, mais pas de politique publique conséquente ? Pour sortir de la crise, il faut agir sur les causes environnementales et comportementales des maladies, bref passer d’une logique de soin à une logique de santé. C’est la décroissance, ou tout du moins la stabilité, des dépenses de santé qui doit être l’indicateur de bonne santé de la population, et non l’inverse.

À travers la santé, c’est notre mode de développement qui est en cause, c’est le productivisme, cette vision à laquelle une partie importante de la gauche reste attachée, considérant comme marginales les préoccupations écologiques. C’est l’écologie, au contraire, qui permet de rénover la pensée de la gauche. Si la gauche n’effectue pas cette mutation, elle laisse le champ libre à ceux qui considèrent que l’écologie n’est ni de droite ni de gauche. Avenir de la Sécu et Grenelle de l’Environnement, les deux événements de la rentrée ne sont pas à dissocier. Et seule une gauche rénovée autour des valeurs de l’écologie peut faire le lien et opposer un projet cohérent à la droite.

[^2]: Interview de Michel de Lorgeril, cardiologue et chercheur (le Monde, 13 juin), auteur de Dites à votre médecin que le cholestérol est innocent, il vous soignera sans médicament, éditions Thierry Souccar.

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