Les lions n’ont pas de banques

Pierre Rabhi est agroécologiste, philosophe et chef de file d’un mouvement de remise en cause de la croissance économique.

Pierre Rabhi  • 12 juillet 2007 abonné·es

Pour une fois que le gouvernement donne à l’écologie une place moins contingente, nous n’allons pas trop faire les difficiles. Quoi qu’il en soit, force est de constater que l’écologie et l’humanisme sont incompatibles de nature avec le modèle de société qui s’est imposé sur l’ensemble de la planète. Ainsi, toutes les décisions qui seront prises en faveur de la nature seront déterminées et limitées par cette antinomie. Les compromis plus ou moins importants sont inévitables, mais seront-ils acceptables ?

Il se trouve que, par une défaillance catastrophique de l’intelligence dans un vaste réel qui lui permettait de nombreuses combinaisons positives (solidarité-complémentarité par exemple), l’idéologie du « temps-argent » a opté pour l’antagonisme et la compétitivité comme principe d’existence. Cette option est-elle imputable à M. Darwin, avec la fameuse loi de la jungle ? Pourtant, la prédation dans la nature n’est déterminée que par la vie qui se donne à la vie pour que la vie puisse se poursuivre. Cela ne satisfait peut-être ni la raison ni le cœur, mais c’est ainsi. Le lion mange des antilopes, mais n’a ni banque ni entrepôt d’antilopes à changer en dollars tout en affamant ses congénères.

La présence momentanée au monde de chacun de nous est totalement légitime du fait de cette exigence élémentaire. Mais ce serait faire abstraction de l’avidité qui donne à l’argent et à une pseudo-économie les pleins pouvoirs sur le destin collectif. Ainsi a été instaurée une anthropophagie structurelle qui permet à une minorité tous les excès au prix de l’indigence du plus grand nombre. Les ressources de la planète ne représentent pas un bien commun en quête d’équité et de partage, mais le butin d’une guerre non déclarée dont les plus « avancés » s’octroient la meilleure part à travers la dégradation et le pillage, justifiés par la croissance économique sans limites. Tant qu’il ne sera pas mis fin à cette orgie, le développement durable tant invoqué comme solution ne fera que renforcer le principe de pompier pyromane qui illusionne les foules.

Quant à l’écologie, elle ne devrait pas être traitée comme un simple paramètre de la réalité planétaire. Elle représente le fondement vivant sans lequel rien d’autre n’est possible. Il n’est, hélas, pas superflu de rappeler cette évidence. Tant que l’écologie ne sera pas une conscience, nous nous contenterons d’aménagements qui ajourneront sans cesse les décisions radicales, au risque de notre finitude. Il serait urgent que la civilisation « hors sol » s’en rende compte. Affecter une partie des sommes vouées à la violence et à la destruction à l’urgence écologique et humaine serait un grand pas vers l’intelligence.

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