Nouvelle diplomatie ?

Denis Sieffert  • 19 juillet 2007 abonné·es

Un ministre des Affaires étrangères qui invite le Hezbollah en France. Un ministre ­ le même ­ qui regrette publiquement que l’Europe n’ait pas reconnu à temps le gouvernement d’union nationale palestinien, cela suffit-il à dessiner les contours d’une nouvelle diplomatie ? Évidemment, non. Mais, comme dit la chanson d’Alain Souchon, « c’est déjà çà ! » . C’est un peu du principe de réalité qui contredit le parti pris idéologique que les États-Unis de George Bush imposent depuis six ans à tous leurs partenaires. Il serait toutefois bien imprudent de vouloir juger la nouvelle diplomatie française après deux petits mois d’exercice. D’autant plus que le dossier qui a le plus mobilisé, ces jours-ci, Bernard Kouchner n’est pas le meilleur pour juger d’une politique. Le Liban ­ puisque c’est de ce pays dont il s’agit ­ mêle depuis si longtemps des intérêts français à la fois publics et privés qu’il éveille davantage chez nous les passions que le raisonnement logique. Ici moins qu’ailleurs la page est blanche. La France de Nicolas Sarkozy s’y est trouvée immédiatement confrontée à un étrange paradoxe hérité de la précédente présidence. Chirac, « l’anti-américain », l’homme qui avait dit « non » à la guerre d’Irak, était dans cette affaire l’ombre portée de George Bush. Les nouveaux venus à l’Élysée et au Quai d’Orsay, pourtant plus atlantistes que leurs prédécesseurs, sont donc amenés à propos du dossier libanais à prendre leurs distances avec Washington.

Mettons en garde quiconque serait tenté d’en tirer hâtivement des conclusions générales sur la politique à venir de la France dans le monde.

Il n’empêche ! La conduite de l’affaire n’en est pas moins intéressante. En invitant dans la région parisienne les quatorze formations qui composent le paysage politique libanais, en les forçant à un dialogue impossible, Bernard Kouchner a pris quelques risques qu’il faut saluer. Car cette initiative n’avait évidemment de sens que si tous les protagonistes étaient présents, y compris bien sûr le Hezbollah. C’était là transgresser un tabou puisque, pour les États-Unis, le mouvement chiite est étiqueté « terroriste ». Un an jour pour jour après la guerre israélienne au Liban, un haut dignitaire du Hezbollah était donc, samedi et dimanche, l’hôte officiel de la France, suscitant au passage l’ire du Crif et de Ni putes ni soumises (aux indignations décidément sélectives). Il faut s’en féliciter non parce que le mouvement islamiste aurait des atours idéologiques particulièrement séduisants, mais parce que rien ne se fera sans le parti le plus représentatif de la population chiite libanaise. Mais sur le fond, hélas, la France se trouve surtout dans la situation de réparer une faute à laquelle elle a pris une part prépondérante. La crise libanaise résulte, en effet, de la volonté franco-américaine d’imposer un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre victime d’un attentat en février 2005.

Créer cette juridiction pour l’assassinat d’un homme politique, plutôt que de s’en remettre à la justice du pays, comme cela a toujours été le cas dans l’histoire des assassinats politiques, n’était en effet pas sans arrière-pensée. Il s’agissait de désigner, avant toute enquête sérieuse, la Syrie comme commanditaire de l’opération. Dans une région où les coups tordus foisonnent, c’était aller vite en besogne. D’autant qu’une première enquête a été désastreuse à force de bourdes et de manipulations. On a ici l’exemple même de la confusion entre la réalité et une idéologie qui a désigné par avance « l’axe du Mal ». S’il fallait encore se convaincre de la fragilité des apparences qu’une information grégaire ne se lasse pas de répéter, il faudrait revenir sur les affrontements qui se poursuivent dans le camp de Nahr el-Bared, au nord du Liban. Il semble se confirmer que les islamistes salafistes qui tiennent le siège face à l’armée libanaise ne sont pas tout à fait le produit d’une génération spontanée. Nous avions déjà fait état des révélations du journaliste américain Seymour Hersh ( Politis n° 954), qui évoquait explicitement un soutien états-unien. Voici maintenant que l’ancien commandant en chef de la Finul, le général Alain Pellegrini, laisse entendre, dans le magazine libanais d’opposition Al-Intikad (« la Critique »), qu’il croit à une implication du clan Hariri. Les deux hypothèses sont évidemment complémentaires. Imaginer que toute déstabilisation du Liban est forcément l’oeuvre de la Syrie ou de l’Iran, tirant les ficelles derrière le Hezbollah, est donc un peu court. Comme, plus au sud, tenir le Hamas pour responsable du conflit israélo-palestinien. Là aussi, il faudra bien un jour parler avec ses « ennemis », pour reprendre la formule de Bernard Kouchner. On attendra sur ce sujet autre chose que quelques déclarations bravaches.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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