Eaux déviantes

Hélène Crié-Wiesner  • 30 août 2007 abonné·es

Il fut un temps où porter de la vraie fourrure pouvait vous valoir un tag de peinture dans le dos. Ou posséder un 4X4, des pneus crevés. Que croyez-vous qu’encoure aujourd’hui, du moins aux États-Unis, un buveur d’eau en bouteille~? Pour l’instant, rien de plus que des regards lourds de reproche. Mais, vu la rapidité de propagation des modes par ici, dans un contexte de honte grandissante quant à l’inaction du gouvernement pour lutter contre l’effet de serre, mieux vaudra bientôt dissimuler ses bouteilles en plastique au fond des sacs poubelles que de les déposer honnêtement dans le bac à recyclage, au vu et au su de ses voisins inquisiteurs.

L’offensive a débuté dans les médias au début de l’été, avec les premières chaleurs~: il faut un million et demi de barils de pétrole pour produire les 38 milliards de bouteilles en plastique consommées (et jetées) chaque année par les Américains. Pire~: 163 millions de litres d’eau importées de l’Union européenne et presque 4 millions de litres venus des îles Fidji ont été déchargés en 2006 dans les ports de New York. Combien de CO2 rien que pour le transport~?

Ainsi, les Américains ne boivent pas que des sodas~? Eh non, même si ceux-ci sont de loin leur boisson préférée. Mais, depuis dix ans, l’eau en bouteille a triplé sa part de marché, rattrapant la bière et le lait, au détriment de… l’eau du robinet. Comme en France, direz-vous~? Certes, mais ici, c’est nouveau, et le phénomène se développe au coeur d’un antagonisme, coincé entre la lutte contre l’obésité (l’eau, c’est bon) et les enjeux énergético-climatiques ­ tout ce pétrole acheté aux Arabes, et tant de CO2 expédié dans l’atmosphère.

Le pays a donc identifié une nouvelle grande cause nationale~: réhabiliter l’eau du robinet, saine et bon marché. De nombreux maires ont lancé des campagnes en ce sens. Sous l’impulsion d’une filiale d’Estée Lauder, les mannequins des défilés de la Semaine de la mode, à New York, en septembre, seront abreuvés par l’eau de la ville embouteillée dans de l’alu recyclé. Ce nouveau type de flacon vide fait déjà un carton en magasin. Un fabricant de filtre (qui ôte le goût de chlore) annonce un partenariat avec un vendeur de gourdes. Pour l’instant, Nestlé, Coca-Cola et Pepsi courent derrière en promettant que leurs bouteilles ont été modifiées pour contenir moins de plastique, alors qu’un nouveau slogan fait fureur dans les magasins bios~: «~Le problème, c’est la bouteille, pas ce qu’il y a dedans.~» Reste à persuader les épiceries et les bars d’installer des fontaines réfrigérantes ­ payantes, sans doute ­, pour permettre aux clients de recharger leurs bouteilles «~politically corrects~» . Parce que l’eau du robinet tiède, beurk~!

Écologie
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