Images d’été

Bernard Langlois  • 30 août 2007 abonné·es

On s’était dit qu’avec l’été, et ses vacances chez ses copains yankees, on allait pouvoir souffler un peu ; une quinzaine de jours sans Sarkozy : sans son jogging, sa dégaine, sa démarche en canard, sa fausse jovialité, sa vraie vulgarité, sa démagogie bien cradingue… Tu parles ! Rien à faire pour échapper au président bling-bling, pour qui une journée, une seule, sans photos, sans micros, sans caméras, sans discours sentencieux ou impromptu spectaculaire est une journée perdue. Comme disent sérieusement les commentateurs sérieux : « Il a tendance à saturer l’espace public. » Tout juste, Auguste. Une grosse tendance. Comme qui dirait une pulsion, du genre irrésistible. Ça se soigne, docteur ?

Mais attention : son image, il se la gère lui-même, comme il l’entend. Pas question qu’on vienne lui voler ce qu’il donne si généreusement.

L’incident avec des photographes américains, qui s’étaient permis de le « shooter » dans le hors-bord où il faisait des ronds dans l’eau en compagnie de Cécilia ­ la légitime ­ et de Rachida ­ la favorite ? ­ (laquelle a un peu tardé à se planquer au fond du bateau, révélant du même coup une présence sans doute justifiée par la garde des seaux du petit Louis), ce pétage de plomb qui a failli mal tourner (un chef d’État qui fonce sur les paparazzi, saute à bord de leur bateau et leur arrache l’appareil des mains en les traitant de noms d’oiseaux, on ne voit pas ça tous les jours ; et la presse américaine en fait encore des gorges chaudes) alerte, une fois encore, sur la nervosité d’un personnage dont on peut se demander s’il ne deviendrait pas dangereux dans des circonstances exceptionnellement tendues.

Cela se passait le 5 août sur le lac de Winnipesaukee, à Wolfeboro (New Hampshire), où le Président français était en vacances en famille et entre amis. Si je vous en touche un mot, c’est que l’information aurait pu vous échapper, sait-on jamais ?

LE JOUEUR DE FLÛTE

Il est quelques bons esprits, tout à fait respectables, qui trouvent qu’on ne devrait pas s’attarder sur ces choses-là ; que c’est la facilité ; qu’il est des événements autrement importants que les faits et gestes du Prince. Soit.

J’en parlerai quand même. Parce que lorsque dans un pays démocratique, une République soucieuse de ses valeurs, jouissant d’une image internationale forte où se mêlent les souvenirs de Voltaire et de Rousseau, d’Hugo et de Zola, et de tant d’autres qui furent l’honneur de la France, quand, dans ce pays où gîte un peuple qu’on dit très politique, intellectuellement affûté et volontiers frondeur, on constate une telle démission de l’esprit critique, un tel avachissement intellectuel, une telle soumission au règne de l’apparence, de l’esbroufe, du mensonge permanent ­ soumission, avachissement, démission que mesurent chaque semaine, sous le terme générique d’ « état de grâce » , les sondages d’opinion ­, on est tellement ahuri, tellement estomaqué (mais comment ne voient-ils pas l’évidence de la supercherie ?) qu’on se dit qu’il n’y a rien de plus nécessaire que de mettre en lumière, jour après jour, les tours et les farces du joueur de flûte qui entraîne les petits Français vers le fleuve où ils vont se noyer.

Avec, il faut bien le reconnaître, une grande science de la manipulation et une bien grande complaisance des médias dominants [^2].

MENSONGES ET VIDÉO

Car pour quelques accrocs, quelques dérapages mal contrôlés (comme celui par lequel on a ouvert cette chronique), le président bling-bling trompe son monde avec talent et en toute impunité.

Et plus c’est gros, mieux ça passe. Tenez, justement, à propos de ces vacances aux States : petite conférence de presse impromptue le 5 août à Wolfeboro. Sarkozy tient à préciser qu’il s’est rendu à Boston, avec sa famille, par un vol régulier d’Air France ; et qu’ils repartiront de même. L’information officielle (et rigoureusement exacte) s’arrête là et sera gobée comme telle par tous les téléspectateurs, auditeurs et lecteurs de la presse respectueuse ; seuls les vrais curieux ­ ceux qui lisent, par exemple, Le Canard enchaîné( « [^3] ­ apprendront que les accompagnateurs du chef de l’État (une quinzaine de collaborateurs) ont fait, eux, le voyage dans le Falcon 900 de la République, qui est resté stationné à Boston pendant la durée des vacances présidentielles, prêt à prendre l’air en cas de besoin ; et le besoin, comme on sait, s’est fait sentir le 10 août, lors des obsèques du cardinal Lustiger, où il était absolument indispensable que le président de notre république laïque aille se faire filmer et dise son affliction aux caméras. Le Canard chiffre à 200 000 euros le coût total des allers-retours du Falcon et de son immobilisation sur l’aéroport international de Boston.

Dans leur grande majorité, nos concitoyens auront retenu que la famille Sarko de Neuilly-Bosca voyage en avion de ligne, comme tout un chacun.

TALON D’ACHILLE

Nicolas Sarkozy reconnaît volontiers (paraît-il) qu’il a un talon d’Achille : son épouse. Et pour le coup, il est sincère. Gérer Cécilia, ce n’est pas du cake.

Le modus vivendi sur lequel vit le couple depuis les grandes turbulences traversées voici deux ans n’appellerait aucun commentaire (vie privée) si le président bling-bling ne mettait pas si souvent sa femme en situation de les susciter. Quand on étale sa vie de famille comme de la confiture, ne pas s’étonner d’avoir parfois les doigts qui poissent. L’insistance, via les magazines pipole, à vouloir renvoyer de la famille présidentielle française une image glamour évoquant celle des Kennedy (du reste aussi fabriquée) est risible : il y avait, chez le patricien de la côte Est et le couple qu’il formait avec sa petite Française d’origine, une certaine classe naturelle et un charme certain que le parvenu de Neuilly et son ex-mannequin sont assez loin d’égaler ; désolé, mais Sarkozy rime moins avec Kennedy qu’avec Grimaldi. Par ailleurs, on ne peut pas reprocher à Cécilia d’avoir du caractère (et c’est même, pour certains, tout à son honneur). Mais personne ne l’oblige à tenir ce rôle de « première dame », dont elle a souvent dit qu’il lui faisait horreur : la Constitution française, du reste, ne le définit en rien ; à proprement parler, il n’existe pas. La question est : peut-on le tenir à moitié ? Un coup j’t’y vois… Après le départ prématuré du sommet de Berlin pour cause d’anniversaire d’une rejetonne, le faux bond fait aux hamburgers de George Dubbleyou au prétexte d’une angine (blanche) fait… tousser. D’autant qu’on croisait la malade en pleine forme faisant son shopping dès le lendemain
[^4].

Deux dérobades en trois mois de règne, ça fait beaucoup. On frôle à chaque fois l’incident diplomatique.

OBSCURITÉS LIBYENNES

Mais c’est la diplomatie française elle-même, telle qu’elle s’est déployée en ces mois d’été, qui ne laisse pas de surprendre.

Mme Sarkozy (encore elle) a été au coeur de l’opération libyenne en juillet. Réussite totale, puisque les infirmières bulgares et le toubib palestinien revinrent dans ses bagages. Le succès de la négociation est passé par les échanges sans doute très sérieux entre le colonel-président Kadhafi et Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée ; et par d’autres échanges, sans doute plus badins ou plus émotionnels, entre ce même Guide de la révolution verte et l’épouse du président de la République française. On ne sait quels arguments l’un et l’autre ont su faire valoir : mais on a vite appris que la Libye gagnait quelques avantages dans l’affaire, dont un équipement nucléaire civil (on nous a assuré que ça n’avait rien à voir ; sauf que le Kadha-fifils a affirmé le contraire…) ; bref, une très obscure histoire, passée largement au-dessus de la tête du ministre étranger aux Affaires, chargé d’aller expliquer aux députés un dossier où il n’a pris qu’une part marginale et qui doit fort logiquement faire l’objet d’une commission d’enquête où l’Élysée a déjà fait savoir qu’il n’était pas question que Cécilia comparaisse !

Un coup j’t’y vois pas…

BÂTONS ET AGACERIES

Pauvre Bernard Kouchner ! Il a trahi son camp pour ce qu’il pensait être un bâton de maréchal et qui se révèle être un bâton merdeux.

Contraint de défendre des dossiers qui se traitent sans lui, réduit aux ronds de jambes, aux prestations de deuxième rideau, aux dépôts de gerbes inutiles et aux visites sans contenu, aux paroles viriles suivies de plates excuses, abonné à l’écoute respectueuse, trois pas en arrière du chef, des discours ampoulés de Guaino [^5] (dont celui de Dakar, une catastrophe paternaliste qui a réussi à défriser toute la jeunesse intellectuelle africaine !), il avale sans frémir son bol de couleuvres quotidien, et le Quai bruisse déjà des rumeurs de sa démission : non qu’il soit en désaccord sur le fond, notez bien ! Le sarkozysme lui va bien au teint, qui nous aligne sans coup férir sur Washington
[^6] ­ dans des émissions récentes, et passionnantes, sur l’histoire du Cambodge, France Culture nous a notamment permis de réécouter le fameux discours de de Gaulle à Phnom-Penh, le 1er septembre 1966 : quelle leçon, pour nos petits bonhommes d’aujourd’hui qui prétendent parler au nom de la France ! ­ ; mais pourquoi, dites, lui pour qui les Français ont les yeux de Christine O. (toujours les sondages…), est-il si continûment mal traité par ses pairs, de quelque bord où ils se situent ?

Faut croire qu’il agace.

Comme son maître agace (litote) ­ et je ne vous ai pas recensé l’ensemble de ses prestations estivales, de l’autocar des pèlerins polonais au fond d’un ravin à l’accident du manège de la Fête des Loges en passant par le gamin victime d’un pédophile, j’en oublie : Little Brother, notre bon président, voit tout, enregistre tout, réagit à tout. Et ça continue de payer, même si l’on pressent déjà, vu la dégradation rapide de la situation économique, qu’il va droit dans le mur en klaxonnant.

Mais au fond, nous aurions tort de nous plaindre ­ nous les chroniqueurs à la petite semaine, les Joinville du pauvre, les Saint-Simon au petit pied, les Rochefort aux modestes lanternes, nous qui faisons profession de chroniquer la Cour et ses ridicules ­ ne sommes-nous pas servis comme… des rois ?

P.-S. : Retour d’un bref passage à l’université d’été d’Attac à Toulouse (boycottée par l’opposition cassenikonovienne), je découvre les propos de l’ex-président Cassen au Nouvel Observateur , où il décrète la mort de cet enfant indigne qui a échappé à sa férule paternelle. Propos moches d’un type aigri, à qui personne n’a donc jamais expliqué que les cimetières sont remplis d’hommes irremplaçables ; moches et archi-faux : 700 participants venus des quatre coins de France ont investi le campus du Mirail et ont participé dans l’application et la bonne humeur, grâce à la parfaite organisation des militants locaux et à des intervenants de haute tenue, à des travaux tout aussi roboratifs que les années précédentes (voir l’article de Thierry Brun.)

[^2]: Qui vont, pour certains, jusqu’à retoucher les photos du Président en maillot de bain, en faisant disparaître les bourrelets disgracieux !

[^3]: Les exploits aériens d’un vacancier nommé Sarko », Hervé Liffran, Le Canard du 15 août.

[^4]: Avec demande pressante de son accompagnateur garde du corps aux journalistes français qui se trouvaient là par hasard de ne point s’appesantir sur cette rencontre impromptue ; et menace voilée de se faire tirer les oreilles par leur hiérarchie !

[^5]: Mon dictionnaire informatique intégré me refuse Guaino, et vous devinez bien ce qu’il me propose à la place ! Mais non, le conseiller spécial n’est pas un engrais !

[^6]: Comme la traditionnelle conférence de rentrée des ambassadeurs, lundi, en a fait la probante démonstration.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 10 minutes