Le tournant américain

Devant les ambassadeurs et à un mois de l’assemblée générale de l’ONU, Nicolas Sarkozy a confirmé le virage atlantiste de la France.

Denis Sieffert  • 30 août 2007 abonné·es

Sarko, l’Américain », le « Bush français », le « néoconservateur à la française » : ces sobriquets dont nous avions, nous-mêmes et quelques autres, affublé le candidat Sarkozy pendant la campagne électorale avaient à l’époque suscité des dénégations outragées de son entourage. Et pourtant ! Avec le discours prononcé lundi devant les ambassadeurs, nous y sommes au-delà de toutes les prévisions. Pour cette première allocution consacrée entièrement à la politique étrangère, et quelques jours après un voyage déjà édifiant de Bernard Kouchner en Irak, Nicolas Sarkozy a confirmé le grand tournant proaméricain que l’on pressentait. Il ne s’agit pas seulement d’affirmations de principe en faveur de l’amitié franco-américaine, mais d’une adhésion totale à la vision politique des idéologues néoconservateurs. La mise en avant de la lutte contre le terrorisme (« notre premier devoir est d’organiser une coopération totale entre services de sécurité de tous les pays concernés ») et de « l’amitié entre les États-Unis et la France » brosse la toile de fond idéologique de cette nouvelle politique étrangère. On y trouve une conception atlantiste de la construction européenne : « Je souhaite, a notamment déclaré Nicolas Sarkozy, que dans les prochains mois nous avancions de front vers un renforcement de l’Europe de la Défense […] et vers la rénovation de l’Otan. Les deux vont ensemble. »

Illustration - Le tournant américain


NGAN/AFP

L’option « américaine » se manifeste aussi à propos de la Russie, qui joue « avec une certaine brutalité de ses atouts, notamment pétroliers et gaziers ». Ce qui n’est évidemment pas faux. Mais alors que dire de la brutalité avec laquelle les États-Unis de George Bush jouent de leurs intérêts pétroliers, notamment au Moyen-Orient ? Mais l’adhésion quasi fusionnelle à la vision de la droite américaine s’exprime surtout dans les menaces proférées à l’encontre de l’Iran. Si Nicolas Sarkozy n’a pas pu désavouer explicitement le refus chiraquien de s’engager militairement en Irak, la critique est transparente quand le débat est transposé à l’Iran. Voilà au moins une guerre que la France ne ratera pas si George W. Bush se lance dans l’aventure : « Un Iran doté de l’arme (atomique) est pour moi inacceptable », a déclaré Nicolas Sarkozy, qui estime que « la crise autour du nucléaire iranien est sans doute la plus grave qui pèse aujourd’hui sur l’ordre international » . Par ces mots, le président de la République accepte totalement les priorités de l’agenda américain. En exprimant ouvertement les termes d’une alternative qui se résume selon lui en « bombe iranienne ou bombardement de l’Iran » , il est allé plus loin que George Bush et fait entrer la France dans une inquiétante avant-guerre.

À côté de l’Iran, le conflit israélo-palestinien, qui est pourtant historiquement à l’origine de tant de conflits et de tensions, paraît de peu d’importance. Il n’est évoqué que pour réaffirmer l’amitié pour Israël et la crainte de voir s’étendre l’influence du Hamas au-delà de Gaza. Il est bien question, dans le plus pur style américain, de « soutenir toute initiative utile » , mais sans autre précision et en entretenant la diabolisation du Hamas. Comme si celui-ci était la cause du conflit.

À plusieurs reprises dans son discours, Nicolas Sarkozy a évoqué la « menace de confrontation entre l’islam et l’Occident », empruntant une grille de lecture du type « choc des civilisations ». La perspective de renforcement de l’aide militaire à l’Afghanistan, les pressions sur le Pakistan s’inscrivent dans ce cadre. Justifiant le renforcement de la défense européenne et de la relation entre l’Europe et l’Otan, le président français a eu un mot qui laisse entrevoir son horizon politique : « Notre principal souci, a-t-il reconnu, est la sécurité du monde occidental. » Comme s’il pouvait y avoir un monde occidental « sûr » alors que les principales puissances bombardent l’Irak, l’Iran et asphyxient le peuple palestinien. Comme si l’insécurité occidentale était étrangère à la politique des grandes puissances. Deux semaines après de tapageuses vacances américaines et une théâtrale rencontre avec George Bush, cela fait décidément beaucoup de marques d’allégeance.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Flottille arrêtée : à Paris, les images du rassemblement en soutien
Portfolio 2 octobre 2025

Flottille arrêtée : à Paris, les images du rassemblement en soutien

Plusieurs centaines de personnes se sont réunies, place de la République, en soutien à la Global Sumud Flotilla, arrêtée par Israël à quelques kilomètres de Gaza.
Par Maxime Sirvins
Argentine : comment Milei cherche à sauver son pouvoir
Monde 1 octobre 2025 abonné·es

Argentine : comment Milei cherche à sauver son pouvoir

Dix provinces ont anticipé leurs élections législatives provinciales, dont celle de Buenos Aires, où l’opposition péroniste l’a emporté haut la main le mois dernier, obligeant le président à la tronçonneuse à faire appel à son homologue états-unien.
Par Marion Esnault
« Une escorte mondiale de la flottille serait un symbole très fort »
Témoignage 27 septembre 2025 abonné·es

« Une escorte mondiale de la flottille serait un symbole très fort »

Prune Missoffe est à bord du Spectre, l’un des bateaux que compte la Global Sumud Flotilla. Son embarcation fait partie de celles qui ont été visées par une attaque sans précédent de la part d’Israël, dans la nuit du 23 au 24 septembre.
Par Hugo Boursier
En Thaïlande, l’oppression silencieuse des musulmans
Reportage 26 septembre 2025 abonné·es

En Thaïlande, l’oppression silencieuse des musulmans

Dans le sud du pays, la minorité malaise est victime de persécutions et d’assimilation forcée de la part de Bangkok. Les fermetures d’écoles et de mosquées, les arrestations arbitraires et les actes de torture en détention sont monnaie courante dans cette région sous le contrôle de l’armée depuis 2004.
Par Marcel Tillion et Christophe Toscha