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Suppressions de postes, service minimum, entailles à la carte scolaire… La rentrée se présente mal. Face à la libéralisation annoncée de l’école, une intersyndicale prépare une grande mobilisation pour l’automne.

Ingrid Merckx  • 30 août 2007 abonné·es
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La saignée~: 11~200 postes seront supprimés dans l’Éducation en 2008. Le chiffre tant redouté est tombé le 23 août. S’il est en deçà des prévisions les plus pessimistes, qui tournaient autour de 17~000 postes en moins, il reste considérable. « On voit mal comment le gouvernement va pouvoir absorber ces suppressions de postes sans toucher à l’offre publique d’enseignement » , s’alarme Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU (voir page suivante). La lettre de mission envoyée par Nicolas Sarkozy au ministre de l’Éducation, Xavier Darcos, ne lui enjoint-elle pas de chercher à « réduire le volume horaire des élèves »~? Fin juillet, cinq fédérations de l’éducation ­ Unsa éducation, FSU, Sgen-CFDT, Ferc-CGT, Faen ­ prévoyaient déjà « une mobilisation de grande ampleur » à l’automne et invitaient à « agir à la hauteur des menaces qui pèsent sur le service public d’éducation » . Même le Snalc-Csen, syndicat traditionnellement classé à droite, pourrait « rejoindre le mouvement » . Une réunion est prévue dès cette semaine. De son côté, Xavier Darcos s’apprête à donner une conférence de presse. Mais, alors que les élèves ressortent leur cartable, il risque d’avoir toutes les peines du monde à apaiser les tensions.

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Dix-huit classes de maternelle sont menacées de fermeture à Aigueperse, dans le Puy-de-Dôme. ZOCCOLAN/AFP

D’autant que le ton n’a pas cessé de monter pendant l’été. Le 17 juillet, le Premier ministre, François Fillon, a provoqué un tollé en annonçant que le dispositif visant à instaurer un service minimum dans les transports pourrait servir de modèle à d’autres secteurs, comme l’école. Le lendemain, Xavier Bertrand, ministre du Travail, enfonçait le clou en déclarant qu’il trouvait indispensable d’accueillir les enfants à l’école en cas de grève. Point de vue qui, derrière un apparent bon sens, dissimule mal une volonté de restreindre le droit de grève. Actuellement, seuls les collèges et lycées sont tenus de rester ouverts et d’accueillir les élèves. Le problème se pose donc dans les écoles primaires, où le personnel encadrant est également enseignant. Pour installer un service minimum dans ces établissements, il faudrait soit réquisitionner certains fonctionnaires, soit instaurer un système de garde à la charge des communes. Pour la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), il n’y a pas lieu de s’affoler~: il y a en moyenne deux ou trois jours de grève dans l’Éducation nationale par an, et les parents sont généralement prévenus assez tôt pour pouvoir s’organiser. L’association des Parents d’élèves de l’enseignement public (Peep), proche de la droite, ne l’entend pas de cette oreille~: elle réclame un service minimum de l’Éducation depuis des années, au prétexte qu’un système de garderie pourrait « pénaliser les élèves au niveau des acquis » . Par prudence ou par calcul, le gouvernement n’a encore rien arrêté au sujet d’un service minimum à l’école. Mais, selon Gérard Aschieri, il « accumule les sujets de conflit. Au cours de nos différents contacts tant avec le ministère de l’Éducation nationale qu’avec celui du Travail, ce sujet n’a jamais fait l’objet de concertation » .

Idem pour la réforme de la carte scolaire.Même si celle-ci pouvait, à l’heure des premiers bilans mi-juillet, faire figure de pétard mouillé. « Pas de grands bouleversements » , répètent les chefs d’établissement, plus préoccupés à présent par les suppressions de postes que par la sectorisation. Ce n’est pourtant pas un hasard si la polémique autour de la carte scolaire a servi de détonateur aux débats sur l’avenir de l’école pendant la campagne présidentielle. Il en va, derrière cette question, du rôle de l’État dans la répartition des élèves dans les établissements. Et, partant, de l’égalité entre les écoles. Que va-t-il rester de cette égalité quand Nicolas Sarkozy aura installé la libre concurrence entre les établissements, comme il vient de le faire pour les universités~? En décidant de supprimer la carte scolaire, le Président fait sauter un des remparts qui protégeaient l’école de la libéralisation. En effet, si la carte scolaire, créée en 1963, a échoué à assurer la mixité sociale, il y a tout lieu de craindre que sa suppression ne vienne légitimer les contournements, tandis que les établissements non convoités seront condamnés à le rester. Sous prétexte d’éradiquer un « outil de communautarisme » , Nicolas Sarkozy ouvre la porte à un système de sélection, au mérite peut-être, mais sociale sûrement.

L’idée n’est pas neuve~: la plate-forme RPR-UDF de 1986 proposait déjà de supprimer la carte scolaire. Rebelote en 1993 pour la même alliance. Candidat au poste suprême, Nicolas Sarkozy a remis le sujet sur le tapis en mars 2006, avec le succès que l’on sait. Du coup, Xavier Darcos, nouvellement nommé, en a fait son chantier prioritaire. La première étape, démarrée en juin, est assez pernicieuse puisqu’elle propose un assouplissement de la carte scolaire selon certains critères, en vue d’une suppression totale en 2010. Le 4 juin, le site du ministère expliquait~: « Dès la rentrée 2007, davantage d’élèves pourront s’inscrire dans un établissement hors de leur secteur, dans la limite des places disponibles. Il s’agit de donner une liberté nouvelle aux familles tout en renforçant la diversité sociale et géographique au niveau de chaque établissement. »

Liberté nouvelle ou libre marché~? En juin, près de 13~500 demandes de dérogation pour la sixième et la seconde ont été déposées dans toute la France en plus des 55~000 déposées chaque année. À Paris, il y aurait eu 203dérogations supplémentaires par rapport à 2006. En Seine-Saint-Denis, où 55 % des collégiens sont scolarisés en ZEP, il y a eu 581 demandes correspondant aux nouveaux critères, et 1~401 dossiers dans le cadre des critères antérieurs à la révision. Le 10 juillet, l’académie de Versailles, la plus importante de France avec 10 % des élèves et 21 réseaux ambitions réussite, avait satisfait près de 80 % des demandes de dérogation à la carte scolaire, dont elle a enregistré une hausse de 20 % par rapport à 2006. On est certes loin des raz de marée annoncés. 65 % des demandes étaient satisfaites avant la réforme, 80 % le sont aujourd’hui. Visiblement, les manoeuvres de contournement se sont normalisées. Mais à qui cela a-t-il profité~? De nombreux parents avaient déjà défini leur stratégie pour cette année.Il faudra attendre 2008 pour y voir plus clair.

Comment faire mieux avec moins ? Alors que le rapport annuel du Haut Conseil de l’Éducation rendu à Nicolas Sarkozy le 27 août diagnostique de piètres performances en primaire et en maternelle, et préconise des efforts ­ ce qui veut dire des moyens ­ supplémentaires, les établissements devront dès cette rentrée continuer à se serrer la ceinture. Ce qui veut dire des suppressions de classes et des classes bondées. La section FCPE de Haute-Garonne s’est insurgée en juillet contre le manque de places dans l’enseignement professionnel dans la région. « Les parents sont priés d’aller voir ailleurs », révèle l’association, qui dénonce « les incitations de l’administration à chercher une solution dans l’enseignement privé » . Signe, selon elle, que l’Éducation nationale ne se donne plus les moyens d’accueillir tous les enfants. Comme elle risque de ne plus se donner les moyens d’enseigner des disciplines qui pourraient, prochainement, se voir transformées en activités périscolaires. Sa mission se réduirait alors au « socle commun » tant décrié.

D’une certaine manière, ce n’est pas pendant les grèves que le gouvernement entend instaurer un service minimum à l’école. Mais toute l’année.

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