L’inquiétant « contrat » de Nicolas Sarkozy

Le nouveau « contrat social » présenté par Nicolas Sarkozy transforme profondément notre modèle en cours. Décryptage en six points d’une rupture inspirée par le Medef.

Thierry Brun  et  Jean-Baptiste Quiot  • 27 septembre 2007 abonné·es

Nicolas Sarkozy a présenté le 18 septembre les grandes lignes de ce qu’il a défini lui-même comme un « nouveau contrat social, profondément renouvelé, profondément différent » . Il est fondé « sur le travail, sur le mérite et sur l’égalité des chances » , un triptyque présidentiel largement inspiré des thèses du Medef. Il n’est pas sans rappeler la « nouvelle constitution sociale » que l’organisation patronale voulait mettre en oeuvre en 2000 en lançant sa « refondation sociale » . Le patronat initiait ainsi une « rupture » avec les rapports sociaux instaurés depuis 1945, en attendant qu’un gouvernement plus favorable à ses idées ne les entérine.

Illustration - L’inquiétant « contrat » de Nicolas Sarkozy


Nicolas Sarkozy, Laurence Parisot et François Fillon, après une réunion à l’Élysée, le 30 mai. FEFERBERG/AFP

Ce n’est donc pas un hasard si Laurence Parisot a jugé « fondateur » le discours de Nicolas Sarkozy. Le chef de l’État va au-devant des voeux du Medef en décidant par exemple qu’une « commission indépendante fera chaque année des recommandations aux partenaires sociaux et au gouvernement » en ce qui concerne le Smic. Laurence Parisot a utilisé les mêmes termes en août. Comme le Medef, Nicolas Sarkozy ne « transigera pas » sur la question des régimes spéciaux de retraite, ni sur le démantèlement des 35 ~heures ou les franchises médicales.

Retraite : réformer sans financer

Le discours de Nicolas Sarkozy est purement dogmatique en ce qui concerne les régimes spéciaux de retraite. « La priorité, c’est de traiter la question des régimes spéciaux de retraite » , a déclaré le Président, qui demande au gouvernement « de les réformer sans tarder » car « c’est une question d’équité » . Sont visés, dans un premier temps, les régimes de la SNCF, d’EDF et de la RATP, et leur durée de cotisation (37,5 ans), pour mieux faire passer une augmentation de la durée de cotisation à 41 ans, et donc une diminution du montant des pensions du régime général des retraites, sans résoudre pour autant la question de sa pérennité. « La vraie question à poser est celle de la répartition des richesses produites collectivement dans ce pays. Elle est scandaleusement inégalitaire, une petite inflexion dans l’autre sens suffirait à financer les régimes « spéciaux », mais aussi à améliorer le régime général ! » , estime SUD-Rail. Avant même de négocier, le gouvernement a déjà entamé la réforme de ces régimes spéciaux : celui des cheminots a été privatisé cette année, et un décret circule sur le financement de ce régime. D’autre part, le régime des électriciens et des gaziers a été adossé au régime général et aux retraites complémentaires dès 2004.

Chômage : fusion et sanctions

Nicolas Sarkozy a demandé à la ministre de l’Économie et de l’Emploi, Christine Lagarde, de faire des propositions sur le processus de fusion de l’ANPE et de l’Unedic, dans un délai de quinze jours. « S’il s’agit de privatiser à terme l’ANPE et de privilégier l’intervention d’entreprises privées pour le placement, nous ne pouvons qu’être contre cette perspective » , analyse Jean-François Yon, du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP). Nicolas Sarkozy a aussi indiqué que les procédures et les sanctions devront être définies avant la fin de l’année, pour les rendre « à la fois plus efficaces, plus fermes et plus justes » , en particulier « lorsqu’un demandeur d’emploi refuse deux offres valables ou une formation » . « Il s’agit d’une double peine dès lors que la perte d’emploi involontaire est suivie d’une interruption brutale du revenu de remplacement » , condamne la CGT-Chômeurs, qui a évalué à 414,50 euros par mois les frais mensuels d’une recherche d’emploi : « Le niveau actuel des indemnités de chômage ne permet pas d’assumer les charges incompressibles d’un foyer en même temps que ces frais mensuels. »

Minima : stigmatiser les « inactifs »

Nicolas Sarkozy n’a pas oublié de stigmatiser les minima sociaux ainsi que les primes pour l’emploi, mesure pourtant appréciée des libéraux. « Mettre le travail au centre, c’est faire en sorte que notre système social incite à travailler plutôt qu’à rester inactif. C’est dans cette perspective qu’un certain nombre de minima et de prestations sociales, ainsi que la prime pour l’emploi, doivent être réexaminés profondément. » Les « inactifs » sont donc la cible présidentielle, c’est-à-dire près de 3,5 millions d’allocataires de minima sociaux et 6 millions de personnes qui en vivent, selon les chiffres de l’Observatoire des inégalités. Le même Observatoire explique que « le nombre de RMIstes vient aussi du fait des restrictions croissantes à l’indemnisation des demandeurs d’emploi, qui basculent alors du régime d’assurance chômage vers les minima sociaux, notamment dans la période récente » . Mais, pour le chef de l’État, il s’agit d’en finir avec les « avantages en nature » liés à un « statut de titulaire d’un minimum social » . Il faut donc réduire drastiquement les dispositifs de remplacement des revenus salariaux. Et cela ne résoudra pas la montée quasi continue des emplois à bas salaire (temps partiel, CDD, intérim) ni le fait que la moitié des travailleurs pauvres sont en CDI.

Smic : un minimum menacé

En ce qui concerne le salaire minimum, Nicolas Sarkozy ose toutes les contradictions pour satisfaire une vieille ambition du Medef : en finir avec le Smic. Ainsi, il dénonce « un Smic qui progresse fortement, sans aucun lien avec les fondamentaux économiques » . Mais il oublie que le Smic est indexé à la fois sur les prix et sur les salaires. « Sur sa fixation, il faut dépassionner le débat. Une commission indépendante fera chaque année des recommandations aux partenaires sociaux et au gouvernement. L’important, c’est qu’elle soit fondée sur des éléments d’analyse objectifs. » Plus « objectifs » que l’évolution des prix et des salaires ? En tout cas, sûrement plus libéraux. Nicolas Sarkozy ne fait que plagier la patronne du Medef, Laurence Parisot, qui avait réclamé en août la mise en place d’une commission indépendante pour la fixation du Smic.

35 heures : balayer le symbole

Selon Nicolas Sarkozy, les 35 heures expliquent « qu’il y a plus de chômeurs en France qu’ailleurs » . Il fait ainsi l’impasse sur la création de plusieurs centaines de milliers d’emplois qu’avait permis la réforme. Ce n’est pas le chômage qui intéresse le Président, mais bien ce symbole de progrès social qu’il veut attaquer, lui qui affirme pourtant « ne pas être un idéologue » . La « suppression des charges sociales et fiscales sur les heures supplémentaires » prévue pour le 1er octobre en est la preuve. Il vaudra mieux en effet, pour un employeur, payer des heures supplémentaires que d’embaucher un salarié supplémentaire. Surtout, en annonçant que la durée du travail pourra être négociée entreprise par entreprise, Nicolas Sarkozy remet en cause, sans oser le dire, la durée légale de travail. Par ailleurs, le Président « souhaite que l’on permette aux salariés de préférer la rémunération au temps libre. Je pense aux heures choisies, qui pourraient être acceptées directement par le salarié » . Mais il oublie là encore que le rapport des salariés à leur employeur est avant tout un rapport de subordination. Comment dès lors parler de « préférence » ou de « choix » du salarié ? De même pour la réforme du contrat de travail et « la promotion de modes de rupture négociée » . Nicolas Sarkozy reprend ici à son compte « le divorce à l’amiable » proposé par Laurence Parisot. Encore une manière de nier le rapport de subordination employé-salarié, pourtant à la source de la création du droit de travail.

Franchises médicales : privatiser la Sécu

Pas un mot n’a été prononcé sur les conclusions du rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, qui propose de taxer les stock-options afin de combler le « trou » de la Sécu. Nicolas Sarkozy préfère recourir au porte-monnaie des pauvres et des classes moyennes avec la réforme des franchises médicales. Pour le Syndicat de la médecine générale, le dessein réel de Sarkozy est de « privatiser à terme la Sécurité sociale » .

Temps de lecture : 7 minutes