Problème de pédagogie

Fleuron de l’école républicaine, le collège unique a du plomb dans l’aile : le gouvernement en parle déjà au passé. Sans dire clairement ce qu’il compte y substituer.

Ingrid Merckx  • 20 septembre 2007 abonné·es

Bonne ou mauvaise nouvelle ? Xavier Darcos a annoncé le 5 septembre la fin du collège unique, modèle de l’organisation scolaire qu’il trouve « totalement dépassé » . « Le président de la République souhaite que le collège unique disparaisse » , a-t-il assuré. Dans la lettre de mission qu’il lui a remise à son élection, Nicolas Sarkozy lui soufflait : « Au collège, vous chercherez à concilier les nobles objectifs du collège unique, qui sont l’égalité des chances et la formation généraliste le plus longtemps possible pour chaque enfant, avec ceux de la réussite et de l’acquisition du socle des connaissances et des compétences fondamentales par tous les élèves. » Mais dans sa Lettre aux éducateurs envoyée à 850 000 enseignants à la rentrée, Nicolas Sarkozy précisait : « Si je souhaite réformer le collège unique, c’est pour que chacun puisse y trouver sa place, pour que les différences de rythmes, de sensibilités, de caractères, de formes d’intelligence soient mieux prises en compte… » A priori, personne ne trouvera rien à redire à cela. Surtout si la suppression d’un prétendu moule vise la réussite de tous. Sauf que le collège unique n’a jamais vraiment existé. Ou, du moins, la réforme qui a instauré le collège unique en 1975 n’a jamais atteint tous ses objectifs. En outre, unique n’a jamais été synonyme d’uniforme. Ainsi, ce qu’on appelle collège unique aujourd’hui ne correspond à aucune réalité. D’où la perplexité du monde de l’éducation. Qu’est-ce que le gouvernement entend réformer au juste, et dans quelle direction compte-t-il avancer ?

Illustration - Problème de pédagogie


La réforme qui a instauré le collège unique en 1975 n’a jamais atteint tous ses objectifs.
PACHOUD/AFP

En installant le collège unique voici trente ans, René Haby a énoncé deux principes : la scolarité obligatoire et commune jusqu’à 16 ans, et le fait que le collège accueille tous les élèves. Ni Nicolas Sarkozy ni Xavier Darcos ne prétendent revenir là-dessus. Pourtant, Xavier Darcos parle déjà du collège unique au passé. Réforme ou suppression ? Derrière ce débat, c’est une remise à plat de l’organisation de l’école qui se profile. Si le président défend, dans sa Lettre aux éducateurs , une révision des programmes et des rythmes scolaires, l’interdisciplinarité, le respect et le retour de la culture générale, il fait aussi jouer le savoir contre la personnalité, l’autorité contre l’impunité, le mérite contre la faute, les républicains contre les pédagogues… Le collège unique, longtemps fleuron de l’école républicaine à la française, serait devenu le maillon faible du système. Motif : il a échoué à démocratiser l’école. Ce que personne, par ailleurs, ne conteste. Dix ans après sa mise en place, on réalisait qu’un bon nombre d’élèves étaient exclus de la réussite. Les professeurs, tirés par les objectifs et les programmes, se plaignent souvent d’être contraints « d’abandonner » ceux qui ne suivent pas, et qui peuvent donc entrer en sixième sans savoir bien lire. Ce rêve porté par la gauche et la droite de porter 80 % d’une classe d’âge au bac est aujourd’hui contredit par le taux de chômage des 20/25 ans. Reste à savoir, maintenant, si la rénovation annoncée par le gouvernement va dans le sens de davantage de démocratisation.

Comment l’école peut-elle assurer l’égalité des chances ? Comment peut-elle corriger les inégalités sociales ? Que faire pour les élèves en difficulté ? D’après Philippe Meirieu, fondateur des IUFM et professeur à l’université Lyon II, le collège unique regroupe trois aspects : un projet social de creuset républicain voulant faire de l’école un lieu de brassage, de rencontres, de construction de la solidarité ; une dimension constitutionnelle par laquelle l’État s’engage à assumer l’enseignement des fondamentaux de la citoyenneté et leur maîtrise jusqu’à l’âge de 16 ans ; enfin, une dimension pédagogique. « Renoncer au creuset social, c’est entériner la filiarisation de notre société. La dimension constitutionnelle, on y a déjà renoncé : le socle commun né en avril 2005 a été un magnifique tour de passe-passe pour nous faire croire qu’on augmentait nos ambitions en les diminuant : on a identifié en fin de troisième ce qu’il fallait que tout le monde sache mais que certains pouvaient ne pas savoir. » Le seul débat possible, selon lui, porte sur le versant pédagogique. « Collège unique ne veut pas dire méthodes uniformes. Or, le collège est actuellement bien trop uniforme. Il faudrait aller plus loin dans la différenciation des élèves et des parcours, faire en sorte qu’ils aient des cours en commun et des cours différents dans les mêmes établissements. Mais la pédagogie différenciée, que je défends depuis toujours, n’est incompatible ni avec le creuset social, ni avec des engagements en termes d’acquis et de culture commune ! » Il accuse donc le gouvernement de vouloir jeter le bébé avec l’eau du bain : en condamnant une pédagogie trop uniforme, il fait une croix sur une ambition politique et sociale.

Ce qui n’est pas pour rassurer les parents d’élèves. « Remettre en cause un établissement de même nature pour la totalité des jeunes, c’est revenir à un temps révolu , tranche Jean-Jacques Hazan, secrétaire général de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Dans sa Lettre aux éducateurs , Nicolas Sarkozy déclare : « Nul ne doit entrer en sixième s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du collège. Nul ne doit entrer en seconde s’il n’a pas fait la preuve qu’il était capable de suivre l’enseignement du lycée… » Orientation précoce, accroissement du nombre de redoublements, voilà ce que redoutent, en premier lieu, les parents d’élèves. « On sait très bien que c’est ce qui donne les plus mauvais résultats, rappelle Jean-Jacques Hazan. Le président a réaffirmé les objectifs de Lisbonne : 80 % d’une classe d’âge au bac, et 50 % à bac + 3. Mais je ne vois pas comment on va y arriver si l’école se met à faire du tri. Comment résorber les inégalités en différenciant plus tôt les populations, comment améliorer la mixité sociale en arrêtant la sectorisation ? Il y a beaucoup de contradictions dans le discours du Président, qui, pour le coup, n’a pas été très pédagogue. Nous attendons de forts éclaircissements . Et que l’on se pose, enfin, la question du comment. » Les parents d’élèves devraient rencontrer Xavier Darcos cette semaine.

Suppression de la carte scolaire, davantage de pouvoirs aux chefs d’établissement, emplois sur ressources propres, choix des élèves, tests d’entrée… « Nicolas Sarkozy cherche à imposer à l’ensemble de l’Éducation nationale le modèle des établissements privés sous contrat, analyse Philippe Meirieu . Ce modèle fonctionne , on le vérifie dans des pays comme les États-Unis , et pourrait inspirer l’Éducation nationale en termes de suivi des élèves, par exemple. Mais l’autonomisation des établissements publics va entraîner une hiérarchisation et donc renforcer les communautarismes. » Ceux-là même que Nicolas Sarkozy prétendait éradiquer en supprimant la sectorisation.

Du côté de la FCPE, ce n’est pas tant l’autonomie des établissements qui fait grincer que son mariage avec un système sélectif. « Si on calque le public sur le privé, ça ne va pas coller , diagnostique Jean-Pierre Hazan. Car la contrainte n’est pas la même : faire réussir tout le monde. » « Depuis sa création en 1975, toutes sortes de stratagèmes ont permis de contourner massivement l’unicité du collège, résume Françoise Clerc, professeure en sciences de l’éducation à l’université Lyon II. Le collège unique a été un slogan, pas une réalité . » Quel slogan le gouvernement entend-il y substituer aujourd’hui ? « Un collège pour tous » , comme le réclame la communauté éducative, et qui ne sonnerait pas mal dans la bouche du chantre de l’égalité des chances ? Ou le si peu fair-play : « Que le meilleur gagne » ?

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