Un Monde d’écart

Patrick Piro  • 20 septembre 2007 abonné·es

La rédaction du Monde est depuis quelques jours agitée par une histoire édifiante. Le journaliste Hervé Kempf (en charge de l’écologie) a adressé le 11 septembre à son collègue Éric Le Boucher une lettre qui met le doigt sur quelques contradictions bien de notre temps. « […] Je découvre que tu es membre de la Commission sur « la libération de la croissance », présidée par Jacques Attali, celui-ci ayant été missionné par lettre de Nicolas Sarkozy et François Fillon du 1er août dernier , écrit notamment Kempf. J’en suis choqué et peiné pour le Monde *. »* L’auteur rappelle qu’il est entré au journal en 1998, alors qu’il était membre du Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaires (CSSIN), « une structure paritaire, sans pouvoir, mais qui était une source utile d’informations » , précise-t-il. Il en avait aussitôt démissionné parce qu’un rédacteur en chef avait invoqué « la coutume » qui voulait que les journalistes du Monde ne participent pas à des commissions officielles, « pour des raisons d’indépendance » .

« Cette règle non écrite du journal , poursuit Kempf, me paraissait très justifiée : la participation à un organisme public ­ fût-il sans responsabilité apparente et sans pérennité ­ induit une relation de connivence qui ne peut qu’altérer l’exigence d’indépendance qui fonde la qualité de notre travail de journaliste. »

« J’y ajoute, écrit-il encore, deux considérations de contexte qui aggravent le mauvais cas dans lequel, selon moi, tu places notre collectivité.

La situation politique du pays se caractérise par un pouvoir fort, détenant les principaux leviers de commande (présidence, gouvernement, Parlement, Conseil constitutionnel), face à une opposition faible ­ ce dont témoigne la collaboration de personnalités dites socialistes, tel M. Attali, à la politique gouvernementale. De surcroît, le pouvoir contrôle aussi, par ses amis ou par ses affidés, une très grande part des médias audiovisuels et écrits. Le rôle des journaux indépendants, et je conserve la conviction que *le Monde est de ceux-là, est d’assurer avec la plus grande rigueur et la plus sourcilleuse susceptibilité notre distance à l’égard du pouvoir, dans cette période périlleuse pour la démocratie. Nos lecteurs attendent de nous cette indépendance, garantie d’un jugement serein. […] »* La réponse de l’ultralibéral chroniqueur Éric Le Boucher est attendue…

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