Illusions perdues

« Le Rideau de sucre », de Camila Guzman Urzua, propose une vision personnelle et subtile de Cuba.

Christophe Kantcheff  • 11 octobre 2007 abonné·es

Le film de Camila Guzman Urzua est sans aucun doute l’un des plus subtils qu’il nous ait été donné de voir sur Cuba depuis longtemps. Loin d’être un dossier à charge ou à décharge, le Rideau de sucre propose une vision à la fois très personnelle et juste d’un pays qui a été une terre d’accueil pour la famille Guzman (Camila est la fille du cinéaste chilien Patricio Guzman), exilée après le coup d’État au Chili de 1973.

La famille a été logée par l’État, et les enfants ont bénéficié du système éducatif cubain. En fait, la cinéaste et ses camarades de classe, qu’elle est revenue filmer, ont connu alors la période la plus faste du pays, durant les décennies 1970 et 1980. Quand, dit-elle, la religion et le chômage n’existaient pas, c’est-à-dire quand l’URSS fournissait à Cuba, sous embargo des États-Unis, tout ce qui manquait. Sans que les Cubains ne s’interrogent sur leur degré d’autonomie.

L’illusion s’est dissipée une fois le mur de Berlin à terre. Désormais, quand la cinéaste retourne à Cuba, qu’elle a finalement quittée pour la France en 1994, elle ne reconnaît plus « son » pays. D’où la nécessité de ce film, interrogeant une génération qui a vu « le rideau de sucre » tomber. Nombreux sont ses anciens camarades qui, comme elle, sont partis pour échapper à l’absurdité et aux souffrances d’une économie en ruine. Tous témoignent du traumatisme qu’a provoqué l’écroulement de leur pays de Cocagne. Mais aucun ne regrette l’enfance qu’il a vécue. On ne ressent pas chez ces femmes et ces hommes, aujourd’hui trentenaires, l’amertume d’avoir été dupés. Ils souhaiteraient au contraire que les préceptes de la révolution castriste, qui n’existent aujourd’hui que pour le décorum, alors que règne en maître le matérialisme, aient encore un sens. Celui qui a nourri leur éducation. Même si l’un d’eux souligne qu’il y avait un paradoxe à encourager la délation quand les grandes valeurs de solidarité collective étaient prônées. Nous le disions plus haut, le Rideau de sucre est un documentaire infiniment complexe. Parce qu’il s’agit d’un vrai film de cinéma.

Culture
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