Milipol, c’est de la balle

Les professionnels du marché de l’armement se retrouvaient à Paris
à l’occasion de leur salon annuel. Dans les allées de ce supermarché
de la mort, chacun vantait sa marchandise avec entrain…

Xavier Frison  • 18 octobre 2007 abonné·es
Milipol, c’est de la balle

L’énorme fusil d’assaut est braqué sur un innocent visiteur. La lunette de visée suit au millimètre les tentatives d’esquive du malheureux gibier qui croit voir sa dernière heure arrivée. C’est le moment choisi par l’indélicat personnage pour relâcher son menaçant joujou d’un geste sec, sans un regard pour sa proie. L’homme soupèse l’engin, scrute le métal et apprécie les détails, en fin connaisseur. La première fois, le visiteur en avalerait presque son carton d’invitation, sponsorisé par Thalès. Puis le voilà qui s’habitue à être mis en joue par moult canons et autres fines gâchettes, au détour d’un stand ou d’une allée.

Bienvenue au « salon mondial de la sécurité intérieure des États », organisé tous les deux ans à Paris, au Parc des expositions, en alternance avec le Qatar. Au Milipol 2007 ­ son nom de scène ­, on commerce, on échange, on découvre le matériel dernier cri, tout heureux de se retrouver entre professionnels du secteur de l’armement.

Illustration - Milipol, c’est de la balle

Au salon Milipol, les professionnels achètent et les curieux « admirent »…
SAGET/AFP

Qu’on ne s’y trompe pas, l’assistance croisée en ce 12 octobre est de bonne compagnie. Des VRP d’élite aux clients potentiels représentant les officines d’État, en passant par les ravissantes chargées de com’ maîtrisant leurs produits sur le bout des ongles, peu seront destinataires, un jour, d’une balle « Pistol Cartridge with steel core 9 mm » tirée par un fusil « VSK-94 ». Restent les énigmatiques visiteurs indépendants, venus seuls, sac à dos sur les épaules, carrure d’athlète et cheveux courts. Un vendeur de calibres belges, volubile, décrit la clientèle : « Ce sont des militaires, des policiers, mais il y a aussi des représentants de milices privées, et sans doute des mercenaires. Eux, ils restent discrets. » On le serait à moins. Malheureusement pour le chiffre d’affaires *, « la vente est officiellement soumise à toute une batterie d’autorisations »* , soupirent, la gorge nouée, de nombreux exposants. Les « passionnés, qui regardent une arme comme une belle fille » , sont donc condamnés au lèche-vitrines.

Bien avant les étals rebondis d’armes lourdes, de couteaux d’attaque et de « machettes de l’armée du Brésil », pudiquement relégués au fond du hall, le « commissariat du futur » happe la foule dès l’entrée du salon. Avec, en guise d’attrape-mouches, hauts gradés affables, Peugeot 308 à caméra embarquée et démonstration de prise d’empreintes informatisée. Mais la star incontestée des hommes en bleu reste ce petit tube de plastique aux ailes de polystyrène d’occasion. L’engin préfigure en réalité le futur drone civil, destiné à survoler et à filmer les grands rassemblements de foule, matchs de foot ou manifestations de masse. Du reste, s’il n’est « pas destiné à être utilisé dans le cadre des violences urbaines » , selon le capitaine Pierre Sananès, son supérieur affirme l’inverse quelques minutes plus tard. Quoi qu’il en soit, la rusticité voulue de l’engin, dont la mise en fonction est prévue courant 2008, semble empêcher l’identification de personnes et le « flicage » excessif. À voir. Autre tête de gondole du salon, le stand EADS garde le cap malgré la tempête médiatique qui agite la société. Ici, le drone militaire prend la forme d’un mini-hélicoptère paré pour « des opérations militaires de protection en zone urbanisée » et « la sécurité territoriale » .

Derrière les officines aux atours respectables, surgit le box cossu et bigarré du fabricant israélien Nice. La marque aux faux airs de compagnie de téléphonie mobile vante la commercialisation prochaine du pack « Safe City » (ville sûre) pour les municipalités. Vidéosurveillance, collecte et analyse des données, constitution de dossiers de preuves à partir des images, stockage sécurisé, tout y est, et plus encore. Mais voici, enfin, le clou du spectacle. Les produits d’exception. Comme pour des joailleries inabordables ou des crus des plus fins, on dévoile ici avec gourmandise et sens du spectacle la crème du secteur. Armes Beretta dans leurs vitrines subtilement éclairées, gilets pare-balles Sadac, équipements spéciaux Rosoboronexport, ils sont tous là. Notamment le fameux « lanceur sublétal » type Taser, décliné en de multiples marques et versions. « Nous ne voulons pas les appeler « armes » car elles ne tuent pas » , affirme sans rire le commercial de FN Herstal, devant deux fusils « lanceurs » au design dissuasif. Un peu plus loin, chez Taser, Michel Chevalet, l’ex-journaliste scientifique dépositaire du fameux « Comment ça marche ? » , fait l’article de l’engin sur écran géant. Dans quelques heures, Milipol fermera ses portes. Sur les tables, entre grenades et canons, les plus primesautiers ouvrent le champagne. Ils font les comptes et goûtent un repos bien mérité. À voir leurs mines réjouies, 2007 est une belle année pour le business de la mort.

Temps de lecture : 4 minutes