« Ne jamais se brider »

Dans son dernier album, enregistré en tournée, Dominique A redonne une chance à certaines de ses vieilles chansons. C’est l’occasion d’évoquer la fragilité de l’économie du disque qui le frappe aussi, malgré son expérience.

Éric Tandy  • 11 octobre 2007 abonné·es


Pour certains chanteurs, un premier disque « en public » est synonyme de bilan. Une façon de dire «~voilà à peu près où j’en suis dans ma carrière ». Est-ce votre cas~?

Dominique A~: Même si nous n’avons bien sûr pas enregistré de concerts avec cette intention, ce genre de constat s’impose obligatoirement à l’arrivée. Le fait que le répertoire joué, à l’époque de l’enregistrement, couvre un spectre plutôt large et pioche dans des moments un peu oubliés ­ voire improbables ­ de ma discographie renforce d’ailleurs cette idée.

Souvent, quand je fais une tournée, je joue beaucoup de morceaux récents : là, je ne voulais pas qu’un seul de mes anciens disques soit mis sur la touche. Le plaisir a justement été de mélanger le tout en recherchant, grâce à de nouveaux arrangements spécifiques à la scène, une vraie cohérence d’ensemble. Cela montre peut-être aussi que je fais un peu toujours la même chose depuis le début…

Illustration - « Ne jamais se brider »


Dominique A aime construire des atmosphères et raconter des histoires.
FRANK LORIOU

Un seul album «~live~» en quinze ans de carrière, c’est assez rare.

En 1999, j’avais enregistré de nombreux concerts, mais ce n’étaient, hélas, pas les meilleurs, ils ne méritaient pas d’être édités en CD. J’ai aussi réalisé un DVD live en solo, mais c’était plus un artefact qu’un véritable enregistrement en public. En fait, ce qui a précipité les choses, c’est la parution prochaine d’un bouquin, les Points cardinaux , chez Textuel, élaboré avec Bertrand Richard. Lui avait un point de vue assez analytique sur ce que je faisais artistiquement ; alors que moi, en contrepoids, je recherchais plus le côté ludique et personnel des choses.

Le livre qui résulte de cette cohabitation met en évidence mon rapport aux lieux : ceux où j’ai vécu, ceux où j’ai voyagé et ceux qui apparaissent dans mes chansons… Ce projet m’a donné envie de sortir autre chose. Et comme c’était un peu tôt pour un album studio, l’enregistrement live s’est quasiment imposé de lui-même.

Est-ce si facile pour un chanteur de sortir un disque quand il le désire ?

Dans ce cas précis, rien n’a été simple. Le label qui avait sorti mon précédent album allait mettre la clé sous la porte et, même si j’avais des appels du pied d’autres maisons de disques, je ne me voyais pas arriver quelque part en disant : « Il va falloir que vous me payiez un enregistrement live ! » Ce genre de disque est en effet rarement synonyme de succès commercial. J’ai donc connu de vraies périodes de découragements. Sans le relais des musiciens et des techniciens, qui voulaient vraiment le faire, et bien sûr sans l’aide de mon tourneur, qui a participé financièrement à l’enregistrement, l’idée aurait même pu être abandonnée. Ensuite, il nous a fallu trouver un label qui veuille sortir le disque avec une vraie motivation ; pas uniquement pour me faire plaisir ou dans l’espoir de pouvoir, par la suite, commercialiser mon prochain disque studio, plus facilement « vendeur ».

Pour moi, cet album n’a rien de secondaire. Il est même important, car il redonne une chance à certaines de mes vieilles chansons, comme « le Courage des oiseaux » et « l’Amour », qui, avec les années, s’étaient un peu perdues dans la nature.


Mendelson, Silvain Vanot… D’autres artistes, qui au départ enregistraient sur les mêmes labels que vous, ont aujourd’hui beaucoup de mal à trouver des producteurs.

J’ai conscience d’avoir eu beaucoup de chance, de n’avoir jamais été marginalisé. C’est lié au fait que j’ai toujours été soutenu : que ce soit par un manager, un tourneur, une maison de production ou par un label… Ce qui n’est pas forcément le cas d’autres artistes, trop souvent livrés à eux-mêmes. Même si leur volonté est semblable à la mienne, ils souffrent obligatoirement de ce manque d’accompagnement.

C’est peut-être aussi la façon de s’imposer artistiquement qui fait la différence ?

J’ai abattu beaucoup de boulot, c’est vrai. Parfois, même, jusqu’à pousser à l’overdose les gens qui me suivaient et en avaient peut-être marre d’entendre les nouvelles choses que je sortais sans discontinuer, même dans mes périodes les moins productives ! Je pense pourtant qu’il ne faut jamais se brider, et qu’un artiste, doit précipiter les événements.

Dans le passé, il m’est même arrivé de bluffer et de dire que j’étais prêt à rentrer en studio pour enregistrer un nouveau disque, alors que c’était loin d’être le cas… Il faut avoir confiance en soi et en ce que l’on fait. Ne pas être non plus systématiquement dans la méfiance.

On suppose aussi qu’avec le temps, un chanteur qui n’a jamais véritablement été marginalisé commercialement, mais qui n’a pas non plus connu un immense succès populaire, acquiert une certaine force de caractère.

C’est quand même fragile… Il suffit de faire un mauvais disque pour que la force vous abandonne ! Mais, d’un autre côté, je suis en effet devenu assez fataliste. En termes de ventes, j’attendais, par exemple, beaucoup plus de mon précédent album, l’Horizon . En revanche, je n’ai pas été déçu par l’accueil critique qu’il a reçu.

Alors, au final, je me dis, et sans aucune amertume, qu’avoir vendu 25 000 disques aujourd’hui, ce n’est pas rien… Surtout que les concerts qui ont suivi ont très bien marché. On est encore très loin de l’avion qui s’écrase.

L’actuelle crise du disque influe-t-elle de façon sensible sur les ventes ?

À l’évidence, je suis moins touché qu’un groupe de hip-hop. Mais ce que je trouve problématique pour la suite, c’est la disparition quasi programmée du format album. En dehors de l’attachement que l’on peut éprouver pour l’objet disque, les artistes n’auront plus la possibilité de construire une atmosphère ou une histoire sur une dizaine de chansons. Faire passer un musicien d’un album conçu dans sa globalité à des titres isolés uniquement disponibles en téléchargement, c’est un peu comme obliger un réalisateur qui tourne des longs-métrages depuis toujours à ne plus faire que des courts-métrages. Je peux encore tenter de raconter quelque chose sur quatre chansons, mais pas dans une seule. Ce n’est pas mon mode d’expression, mon truc c’est plutôt d’« ambiancer ».

Qu’est-ce qu’un artiste peut retirer de sa participation aux manifestations et aux concerts accompagnant l’avis de K.-O. social, au départ initié par les Têtes raides ?

Personnellement, je constate que, lorsque des artistes se réunissent autour d’une cause sociale, ou plus largement d’une cause de gauche, ils ne font que se mettre devant un feu de bois pour se réchauffer ensemble. C’est triste, mais j’ai bien peur qu’il en soit pour longtemps ainsi, tout du moins tant que les gens ne se prendront pas dans la figure un vrai retour de bâton psychologique…

Ce qui se passe actuellement avec la chasse aux immigrés est un terrible exemple : plus les choses vont vers l’horreur, moins les artistes prennent position. On est en plein dans un « baissage » de bras généralisé. Beaucoup pensent, et avec justesse puisque la situation politique actuelle le prouve, que faire entendre son opinion ne sert plus à rien. Il y a forcément des possibilités de réagir face aux situations d’injustice ; mais je crains que, cette fois-ci, il faille attendre pas mal de temps.

Culture
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