Autour de Béjart

Daniel Larrieu* évoque le travail de Maurice Béjart, danseur et chorégraphe français mondialement connu qui a réussi à populariser la danse contemporaine sans pourtant l’imposer tout à fait.

Ingrid Merckx  • 29 novembre 2007 abonné·es

« Maurice Béjart a ouvert la danse au monde entier, au public de masse » (Claude Bessy, ancienne danseuse étoile). « Ce que voulait faire Jean Vilar, un théâtre populaire de qualité, Maurice Béjart l’a fait pour la danse » (Bertrand d’At, directeur du ballet de l’Opéra du Rhin, ancien danseur et assistant auprès de Maurice Béjart). Mort le 22 novembre à Lausanne, Maurice Béjart (de son vrai nom Berger) était le danseur et le chorégraphe français le plus connu. Né à Marseille en 1927, il fonde sa première compagnie, les Ballets de l’Étoile, en 1953, et dénonce un « art coupé des masses » . Lorsqu’il signe ses premières chorégraphies, comme Symphonie pour un homme seul , en 1955, sur la musique de Pierre Henry et de Pierre Schaeffer, il redoute pourtant qu’elles ne fassent « fuir les gens » . Ce fut tout le contraire. En cinquante ans de carrière et plus de 250 ballets, Béjart n’a cessé, malgré des controverses, de remporter l’adhésion du grand public. Pour Roxanne Aybek, porte-parole de sa compagnie, « il a profondément révolutionné la danse du XXe siècle » . Mais, dans la Danse vue par Maurice Béjart (paru ces jours-ci chez Hugo Image), il précise : « Je ne suis pas le révolutionnaire que l’on croit : j’ai dépoussiéré. »

Pour Daniel Larrieu, qui a commencé à danser dans les années 1980, le mouvement de « révolution » initié par Béjart en direction de la danse contemporaine était déjà passé. Mais le chorégraphe est resté une référence, à défaut d’être un modèle. « Je regardais plutôt du côté de la danse américaine. » Trop grand public ? « Oui, sans que cela soit péjoratif. J’entends par « grand public » une danse faite de systèmes où l’on comprend immédiatement ce qui est fait. Béjart était là-dedans, présentant des grands mythes de la littérature comme Proust, ou des grands mythes venus d’Orient et d’Afrique… » La marque d’une époque : « Béjart cultivait la notion de merveilleux, de beau, de sublime, autour d’un corps résistant, gracieux, souple. C’est cela qui a été remis en cause dans les années 1980. » Mais Béjart a imposé « l’homme dansant ». « Pendant très longtemps, rappelle Daniel Larrieu, tous les rôles du répertoire de l’Opéra de Paris étaient dansés par des femmes. Maurice Béjart a porté des figures de danseurs. Pour moi, l’image qui s’impose, quand j’évoque son travail, c’est Jorge Donn au centre du plateau, en lycra, dans le Boléro (1979). »

Le Béjart des débuts est le plus salué. « Quand il montre, en 1967, Messe pour un temps présent au Festival d’Avignon, les spectateurs restent scotchés. Debout dans la Cour d’honneur. C’est un moment magistral, irréfutable, et déterminant pour la place de la danse dans un festival comme Avignon. » Premier chorégraphe invité par Jean Vilar, Béjart « a réalisé un travail gigantesque pour faire progresser la démocratisation de la danse. Il a fédéré énormément de gens. Peu de chorégraphes peuvent, comme lui l’a fait, remplir des salles de 3 000 places ». C’était encore le cas pour le ballet Lumière, à Lyon, en 2001. Malgré cela, Béjart a toujours connu « un vrai problème de légitimité en France ». Il s’est d’ailleurs vite « exilé » en Belgique, où il a vécu vingt-sept ans. Puis en Suisse, où il s’est installé en 1987.

En France, « gros importateur de chorégraphies, Béjart représente une danse qui, tout en restant en partie académique, tente de renoncer à quelque chose qui serait uniquement narratif, résume Daniel Larrieu *. Il y a là l’idée qu’on n’est pas seulement sur scène pour raconter une histoire »* . Si tout le monde connaît Béjart, figure « emblématique de la relation au grand public, un adolescent aujourd’hui ignore tout de la danse contemporaine. Et la danse en est encore à devoir démontrer sa légitimité » , déplore Daniel Larrieu. Pour preuve, la récente nomination des chorégraphes José Montalvo et Dominique Hervieu à la direction de Chaillot, qui a été accueillie plutôt fraîchement par le milieu du théâtre. « Il n’est pas facile de défendre aujourd’hui une culture qui se tienne par des contenus et non par des effets d’image. La communication est devenue plus importante que le reste, c’était inenvisageable il y a vingt ans. » La mort de Béjart marquerait-elle la fin d’une époque ? « En partie. Un gros pilier disparaît. Même si son travail va connaître un renouveau. »

« La danse est sous-estimée, déclarait Maurice Béjart dans Libération le 4 juillet 1996. Toutes les villes ont leur opéra et de l’argent pour faire une énième version de la Tosca *. Et la danse, qui est création, a juste de quoi vivre, quand ce n’est pas survivre. »* La situation reste inchangée. Si elle n’a pas empiré. Béjart a été vu. Beaucoup vu. Mais a-t-il été entendu ?

Culture
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