La rue tue

Depuis cinq ans, le collectif Les Morts de la rue accompagne l’enterrement des sans-abri décédés. Pour éviter une ultime exclusion.

Ingrid Merckx  • 22 novembre 2007 abonné·es

Un homme, Idiss Driss, Pascal Arnaut, Dominique Magnie, Sigmund Zimolag, un homme, Daniel Dufour, un homme, Jacek Glowacki, Jeanine Louis, Pierre Godet, Pavle Mandic, Michel Carrière, Bernard-Jean Peyraud… Ainsi commence la liste 2007 des Morts de la rue [^2]. Tous les ans, ce collectif édite un faire-part des personnes décédées dans la rue. Tiré à 3 000 exemplaires, il est diffusé aux associations, pouvoirs publics, personnes de la rue, élus, partenaires sociaux et institutionnels, ainsi qu’aux médias. Pour informer. Permettre le deuil. Interpeller sur la mort prématurée des personnes qui vivent dans la rue : l’âge moyen est de 48 ans. Et permettre, aussi, à leur famille de les retrouver.

Depuis 2002, ce collectif a appris le décès de 1~200 personnes. Depuis 2003, il est mandaté par la Mairie de Paris pour accompagner quatre cercueils deux fois par semaine. Quelques-uns sous X. « Parfois, les personnes sont enterrées, et on n’a rien sur elles, témoigne Christophe Louis, président du collectif. On n’a pas les moyens d’aller rechercher l’entourage. » Ce collectif, qui s’est engagé à être présent auprès de tous les morts isolés de la capitale, s’applique, avec le peu qu’il sait, à accompagner les enterrements. Être là au moment de la mise en terre, dire un texte en hommage au disparu. « Parce que leur crainte à tous, explique Cécile Rocca, membre du collectif *, c’est de mourir seul et d’être enterré « comme un chien ». »*

Quand il est prévenu d’un décès par un foyer, une structure d’hébergement, un hôpital, le collectif, laïque, s’attache, avec les associations qui connaissaient la personne ou avec ses compagnons de galère, à inventer un rituel respectant sa volonté, ses croyances ou non-croyances. « Comment donner sens ? Peut-on accepter d’avoir des gens qui disparaissent devant nos yeux ? Y a-t-il une mort citoyenne ? Peut-on imaginer l’absence des plus faibles dans nos groupes sociaux ? », résume Cécile Rocca .

Depuis sa création, il y a cinq ans, le collectif a entamé une réflexion sur les causes des décès et sur la manière de les accompagner. En amont : inciter les gens à garder sur eux un papier disant qui prévenir, ou un testament. En aval : conserver une trace des cérémonies. « Nos plus grosses attentes concernent la recherche des familles, explique Cécile Rocca. Quelques télévisions ou radios relaient nos faire-part et il arrive que des proches nous appellent parce qu’ils ont entendu un nom. Est-ce bien lui ? Est-ce bien elle ? Il faut vérifier. Pour les familles qui ont perdu contact avec la personne décédée, le choc est d’une violence terrible. C’est un devoir de société d’entamer des recherches. »

« A priori, aucune société n’abandonne ses morts , rappelait le sociologue Patrick Baudry dans l’émission « Les Visiteurs du jour », sur RFI, le 23 juillet dernier. La question de la mort touche l’entourage mais aussi la collectivité : la mort de quelqu’un, c’est toujours la mort de l’un d’entre nous. Une société doit prendre soin de ses morts. Mais notre société basée sur l’efficacité, la rentabilité et la productivité fait l’immense erreur de croire que, parce que la mort n’est pas productive, on pourrait ne pas s’en occuper. »

La canicule de l’été 2003 a mis en évidence le phénomène de morts isolées *. « Cette année-là, les gens se sont indignés,* se souvenait Christophe Louis dans la même émission *. Mais il faut savoir qu’il y a près de 400 morts isolées par an ! »* Les Morts de la rue contribue aussi à révéler un scandale : la double exclusion qui frappe les sans-abri. Déjà à la rue, ils viennent à mourir sans que personne ne s’en aperçoive. Ou presque.

[^2]: Les Morts de la rue, 72, rue Orfila, 75020 Paris, .

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