« Le risque de division peut être une chance pour la réforme »

Spécialiste du syndicalisme, le sociologue Dominique Andolfatto constate que le pragmatisme des confédérations et leurs divisions ont fait émerger un syndicalisme radical.

Marjolaine Normier  • 8 novembre 2007 abonné·es

Alors que la mobilisation du 18 octobre contre la réforme des régimes spéciaux de retraite a été très suivie, les organisations syndicales apparaissent divisées face à la grève du 13 novembre. Comment analysez-vous la situation ?

Dominique Andolfatto [[Auteur avec Dominique Labbé d’une nouvelle édition de la Sociologie des syndicats, éditions La Découverte.
]] : Dans le cas de la SNCF, un syndicat, la Fgaac, n’a pas appelé à la grève. Alors que la CFDT Cheminots s’est alliée au mouvement. La Fgaac, qui représente 35 % des conducteurs, a obtenu certains avantages pour ces derniers concernant l’âge du départ à la retraite (par rapport aux sédentaires). Constatant que la réforme est inéluctable, et apparemment satisfaite des avantages qu’elle a obtenus, elle ne devrait pas s’engager dans une nouvelle grève. La CFDT confédérale et les syndicats autonomes estiment finalement que des négociations doivent maintenant porter sur des points précis, comme la prise en compte de la pénibilité du travail ou l’aménagement de la durée de cotisations pour les salariés entrés précocement dans l’entreprise. Les autres syndicats désapprouvent la réforme. Mais ils restent actuellement dans un jeu de rôle. La CGT, en particulier, ne veut pas apparaître dans cette affaire comme ayant une attitude trop catégorielle, qui la couperait des salariés du privé. Les arbitres de cette situation seront probablement les jeunes embauchés. Ils sont demandeurs d’un syndicalisme unitaire. Le risque de division actuel est, paradoxalement, une chance pour la réforme.

Ces divisions ne sont pas nouvelles, quelles en sont les raisons ?

Les divisions syndicales sont un grand classique en France. Elles ont des racines anciennes.Après le « recentrage » de la CFDT à la fin des années 1970, elles ont eu tendance à s’accentuer. La CFDT a alors affiché un syndicalisme plus pragmatique, dénonçant les revendications trop globalisantes. Mais la CGT a inauguré à son tour un « nouveau cours » à la fin des années 1990, ne faisant plus de la lutte une valeur cardinale. Elle a tiré des enseignements de la chute de l’URSS. Aujourd’hui, elle donne aussi plus de place à la négociation, et ses revendications ciblent des points précis comme les salaires, la formation professionnelle, la sécurisation des parcours professionnels. Elle cherche aussi à mieux s’inscrire dans la « mondialisation » (sans nécessairement céder à l’altermondialisme). Ce qui l’a amenée à adhérer à la nouvelle Confédération syndicale internationale. Mais ce nouveau cours des grandes confédérations a conduit à faire émerger, sur leur gauche, un néo-syndicalisme de la rupture, à travers les syndicats SUD.

Vous parlez d’évolution parallèle de la CFDT et de la CGT. Est-elle un facteur d’unité ?

Les évolutions de la CGT et de la CFDT ne sont que partiellement parallèles et, évidemment, déclarées dans le temps. En outre, la CGT n’est pas partie du même point que la CFDT. Elle ne parvient pas non plus au même point d’arrivée. La CFDT, par exemple, s’est ralliée à l’économie de marché. On peut douter que la CGT le fasse. La CGT est parcourue par des courants contradictoires. Ainsi, la fédération des cheminots de la CGT n’est pas exactement sur la même longueur d’onde que la confédération CGT. Mais l’une et l’autre ne sont pas non plus dans la même problématique. La confédération veut se défaire d’une image qui serait trop corporatiste. D’où une certaine prudence et la volonté de ne pas s’engager dans un mouvement qui ne rencontrerait pas un écho suffisamment positif dans l’opinion publique. Ces divisions internes à la CGT ont connu aussi un épisode de tension, avec la mise en minorité de l’équipe Thibault sur le traité constitutionnel européen, en 2005. Ce dernier souhaitait que la confédération adopte une attitude de neutralité. Les fédérations de la CGT l’ont sommé d’adopter une attitude d’opposant.

La défection du PS vis-à-vis de la réforme des régimes spéciaux a-t-elle une influence sur les divisions syndicales ?

Des divisions existent également au sein du PS. Certains, comme Manuel Valls, se disent favorables à la réforme des régimes spéciaux de retraite. D’autres ont de solides réticences. En fait, le PS paraît plutôt attentiste et très attentif aux positions des syndicats, notamment à celle de la CGT, avec laquelle il se sent de nouveau des atomes crochus depuis quelques années.

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