Les Académies et l’œuf de Colomb

André Cicolella  • 1 novembre 2007 abonné·es

Le dernier rapport des Académies et du Centre international de recherche contre le cancer (Circ) conclut à une très faible origine environnementale des cancers : 0,5 % pour la pollution hors travail et 4 % en milieu professionnel. Comment peut-on arriver à une conclusion aussi divergente des autres estimations ? En fait, il faut comprendre que la question n’est pas scientifique, mais directement citoyenne : il s’agit de la déontologie de l’expertise.

Mis au défi de faire tenir droit un oeuf, Christophe Colomb avait trouvé une solution très simple : le casser à son extrémité. Il s’affranchissait ainsi des « règles de déontologie » implicites. À leur façon, les Académies utilisent le même procédé vis-à-vis de l’expertise. Leur rapport est présenté comme « l’état de la science », or le comité d’experts n’a pas respecté deux principes.

Le premier : l’expertise contradictoire. Il est étonnant qu’aucun avis discordant ne se soit fait entendre dans ce groupe. Ce n’est un secret pour personne que des scientifiques ont une analyse différente (dont moi-même), mais ils n’ont pas été sollicités.

Second principe : analyser toutes les données. Or, par exemple, l’étude sur le cancer de l’enfant, qui montre une augmentation de + 1 % par an depuis trente ans, n’a pas été prise en compte ­ bien que réalisée par le Circ ! D’autres sont discréditées : leur qualité est contestée, ou bien on estime que si, elles sont statistiquement significatives avec une probabilité à 5 %, il existe une chance sur 20 pour qu’il s’agisse d’un hasard !

Autre question citoyenne, le « degré de preuve acceptable ». Les Académies considèrent qu’il est nécessaire de disposer d’une preuve chez l’homme. Sont insuffisantes à leurs yeux des données positives recueillies par l’expérimentation animale, encore moins sur les cellules. Un raisonnement qui a justifié l’usage de l’amiante pendant des décennies avec la bénédiction de l’Académie de médecine, jusqu’à peu de temps avant son interdiction : les preuves n’étaient « pas suffisantes » .

La demande citoyenne est autre : agir avant que les dégâts n’aient lieu. Qui peut prétendre que cette demande n’est pas légitime ? Pas plus qu’on ne peut considérer que Christophe Colomb ait vraiment réussi à faire tenir droit son oeuf, on ne peut considérer que le rapport des Académies et du Circ ait correctement évalué l’impact de l’environnement sur le cancer. C’est pour éviter ces manipulations qu’il est nécessaire de mettre en place une haute autorité chargée de définir les règles de déontologie de l’expertise et de les faire respecter. Ironie de l’histoire, le scandale autour de ce rapport aura grandement contribué à faire retenir cette proposition par le Grenelle de l’environnement !

Écologie
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