Les dangers de l’eau

De nombreux fleuves et rivières contiennent des quantités alarmantes de nitrates et de pesticides. Une question « oubliée » par le Grenelle
de l’environnement.

Claude-Marie Vadrot  • 15 novembre 2007 abonné·es

L’état des cours d’eau en France fait partie des sujets passés sous silence par la geste gouvernementale du Grenelle, alors qu’une directive européenne exige « le bon état des cours d’eau » pour 2015. La question est si sensible que les cartes de la qualité des eaux de surface ont disparu depuis des mois du site du ministère de l’Écologie. Ne subsiste qu’un discret avertissement : « L’état des lieux réalisé en application de la directive met en avant que, dans la plupart des cas, le risque de non-atteinte du bon état écologique pour 2015 peut être attribué aux pollutions diffuses d’origine agricole, essentiellement les nitrates (eutrophisation) et les pesticides (risques pour la santé). »

Le 26 octobre, le tribunal administratif de Rennes a donné raison à l’association Eaux et rivières de Bretagne, et reconnu la responsabilité de l’État dans la pollution de nombreuses rivières bretonnes, pollution qui entraîne des marées vertes dans les baies de Saint-Brieuc, de Lannion et de Douarnenez. Et ce à cause des nitrates, qui valent à la France une menace de condamnation pour le non-respect des concentrations admissibles dans ces cours d’eau.

Illustration - Les dangers de l’eau


Sur la plage de Granville, près de Saint-Brieuc, où prolifèrentles algues vertes, dues aux nitrates. TANNEAU/AFP

Vingt-cinq départements « bénéficient » de points d’analyse supérieurs à 40 milligrammes par litre (mg/l), et dix-huit se situent entre 25 et 40. Autre illustration de ce que le ministère présente comme une « relative stabilisation » : depuis la précédente campagne de mesures, 75 % des points de contrôle sont en augmentation, dont 17 % au-dessus de 50 mg/l et 14 % entre 40 et 50. Alors que l’Europe et l’OMS fixent à 50 mg/l la teneur limite acceptable et que l’objectif est qu’aucune eau de surface ne dépasse 25 mg. On en est loin. Le seul document officiel disponible montre que plus de la moitié des départements français comptent une majorité de communes « en situation vulnérable ». L’Ouest, le Nord, le Bassin parisien, une partie du Sud-Ouest, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin.

L’Institut français de l’environnement a rappelé récemment que 96 % des cours d’eau français contenaient des pesticides : sur 25 % du territoire, la limite de 0,5 microgramme (µg) est dépassée en permanence. Les substances le plus souvent quantifiées sont le glyphosate (un désherbant prétendument biodégradable), l’atrazine, le diuron, l’isoproturon et l’aminotriazole. Tous cancérigènes ou mutagènes et à portée de ce que nous mangeons. Il faut y ajouter les PCB, les pyralènes, qui ne polluent pas que le Rhône (dont le poisson ne peut plus être consommé) : ils sont présents dans la Seine, l’Oise, la Moselle, le Cher, la Somme, la Saône, l’Isère, le Doubs, le Rhin, la plupart des rivières du Nord et sur le cours supérieur de la Loire.

Au ministère de l’Écologie, on affirme avoir découvert ce polluant au cours de l’été, et on parle de « pollution historique » . L’histoire a bon dos : il s’agit plus probablement d’un non-respect prolongé de l’interdiction de vente et d’utilisation de ces produits, interdits depuis 1987. Conséquence de cette « découverte » : la consommation de poissons pêchés dans plusieurs des fleuves et rivières pourrait être interdite avant la fin de l’année. De toute façon, comme le montre un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) publié le 1er novembre, un tiers des poissons européens d’eau douce est menacé de disparition. Menace qui concerne une trentaine d’espèces des cours d’eau français : elle est révélatrice de la dégradation chimique et organique des eaux.

En ce qui concerne la pollution microbienne ­ la turbidité mais aussi la chimie ­, les autorités ont mis au point depuis quelques années une technique imparable : les points de contrôle sur les fleuves et les rivières ont été supprimés. Pour cela, il suffit d’une décision préfectorale interdisant la baignade. À partir de là, plus besoin de surveiller la qualité de l’eau. C’est ainsi qu’il n’existe plus une seule « baignade autorisée » sur la Loire, entre Nevers et Saint-Nazaire. Même astuce pour la majeure partie des cours d’eau, ce qui permet de publier chaque année des communiqués triomphants sur « la qualité des eaux de baignade ». Les plans d’eau à l’écart des rivières subissent la même opération : le nombre de points contrôlés diminue chaque année.

Cette situation rappelle qu’une grande partie du riche réseau de rivières du territoire français est laissée à l’abandon, sans entretien, et à la merci des petites pollutions occasionnelles que nul ne réprime, sauf quand des associations de pêcheurs à la ligne se fâchent. Ce qu’elles n’ont pas toujours les moyens de faire, surtout quand les procureurs classent les dossiers pour ne pas gêner des notables pourvoyeurs d’emplois.

Écologie
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