Les défendre tous…

Jacques Beauregard a filmé les avocats d’Émile Louis à l’ouvrage lors du procès de Draguignan. Un remarquable documentaire qui puise dans l’essence d’une profession.

Jean-Claude Renard  • 1 novembre 2007 abonné·es

L’écrin d’abord. Ou plutôt le contexte, guère reluisant. En décembre 2000, l’actualité braque ses projecteurs sur Émile Louis, un ancien chauffeur de bus accusé d’avoir enlevé et assassiné sept gamines handicapées de la Ddass entre 1977 et 1979, en Bourgogne. Émile Louis reconnaît les faits en garde à vue puis se rétracte devant le juge d’instruction. Ancien bâtonnier, Alain Thuault est commis d’office. À ses côtés, un pénaliste. Émile Louis est aussi accusé dans le Var, par sa seconde femme, de violences sexuelles et d’actes de barbarie, « des trucs de SS » . Enfin, sa belle-fille, mineure au moment des faits, l’accuse de viols par personne ayant autorité. La coupe est pleine. Dans le Var, deux autres avocats sont commis d’office. Les quatre se retrouvent ainsi à Draguignan, en mars 2004, pour le premier procès d’Émile Louis. C’est bien le moins pour défendre le parfait salaud. Derrière la banalité de deux prénoms pour se faire un nom, Émile Louis a le physique de l’emploi, celui du gros porc, trogne de fiente épaisse, de la gouape infecte qui doit dérouiller séance tenante devant la vindicte populaire.

Pour les quatre avocats, reste tout de même à juger, de façon impartiale et équitable, comme l’exige la Cour européenne des droits de l’homme. Joseph Beauregard a planté sa caméra dans leur quotidien. Non les audiences (il n’y a pas un seul plan du salopard ni des témoins à la barre), mais leur habillage et déshabillage. Non pas le crime, ou le criminel, déjà très exploité par les médias et un flot d’images, mais la part invisible de la défense d’un cas peu ordinaire. Pour le réalisateur, un exercice de sobriété. Idem pour les avocats. Il y a assez de scandale en Émile Louis pour ne pas avoir à en rajouter.

Beauregard marque à la culotte les défenseurs. Entre quatre murs et deux ou trois échappées en extérieur. Il prend son temps sur les moments de concentration, de réflexion, de doute, de relâchement, voire d’abattement, les attentes et l’impatience, les échanges à voix basse, les besoins de décompression après les assauts répétés et avant la délicate construction d’une plaidoirie. Le réalisateur saisit les bas-côtés : le café du coin, l’hôtel un peu plus loin, un petit-déjeuner propice à l’anecdote, les coups de fil personnels, l’achat d’un sandwich pour l’accusé. Des ingrédients qui soulignent l’ordinaire dans l’extraordinaire, le naturel dans le pas commun. En ce sens, la version originale (plus longue d’une trentaine de minutes) présentée au Fipa à Biarritz, en janvier dernier, disait mieux encore l’exercice des avocats.

Le verdict a peu d’importance ­ il ne figure que sous forme de banc-titre précédant le générique de fin. Le verdict n’a pas d’importance parce que peu importe le crime pourvu qu’il soit jugé. Les mêmes principes, les mêmes mots s’appliqueraient à la médecine. S’agit de soigner, de traiter. Quel que soit le patient. Les quatre avocats du salopard ne se posent pas de questions là où il n’y en a pas. S’agit de défendre, et de bien défendre. Pour Joseph Beauregard, il s’agissait aussi de « montrer une grammaire de cette profession, une métaphysique des avocats du salopard dans un huis clos respectant la règle dramaturgique des trois unités » . L’intention est à la hauteur de la réalisation. « Suis-je un salaud parce que je défends un salaud ? » , s’interroge le réalisateur dans le dossier de presse. Albert Naud, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (avocat notamment de Pierre Laval), avait déjà répondu à la question : « Les défendre tous. »

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