Tragique équipée maltaise

Les migrants échoués à Malte subissent une détention obligatoire dans des conditions indignes, avec la bénédiction de l’Union européenne. L’association Médecins du monde réagit.

Xavier Frison  • 29 novembre 2007 abonné·es
Tragique équipée maltaise

Terminus, tout le monde descend. Le voyage vers l’eldorado européen de centaines de migrants africains s’arrête de plus en plus souvent à Malte, bien avant les côtes italiennes, l’objectif de départ. À cause d’un naufrage où les morts se comptent par dizaines, ou lors d’un arraisonnement dans les eaux territoriales du plus petit pays de l’Union européenne (UE), ils sont nombreux à échouer ici. Libye-Italie, via Malte pour les plus malchanceux, «~c’est actuellement l’une des principales routes utilisées par les migrants pour entrer sur le continent~» , confirme Médecins du monde (MDM) dans son rapport consacré à « l’accès aux soins et aux droits des migrants à Malte~» . Le nombre d’arrivants a «~augmenté de façon substantielle ces dernières années » dans cet État de 400~000 habitants, qui prévoit une « détention systématique » de dix-huit mois maximum des migrants, jusqu’à l’établissement de leur identité et l’étude de leur demande d’asile. Mais si Malte est responsable de sa politique de détention, l’Union a clairement sa part de responsabilité «~et devrait être plus impliquée dans l’accueil et la réponse apportée aux migrants vivant à Malte », d’après MDM .

Illustration - Tragique équipée maltaise


Des candidats à l’immigration retenus dans un centre de détention à Malte, le 23 mars 2006.
CARDONA/AFP

L’afflux soudain dans l’île de personnes parties de Libye, dont les côtes sont distantes de seulement 360 kilomètres, s’explique par le renforcement de la surveillance autour des frontières espagnoles et de ses enclaves de Ceuta et Melilla. Entre 2002 et mai 2007, 4817 demandes d’asile ­ de ressortissants d’Afrique subsaharienne pour la plupart ­ ont été enregistrées à Malte. Seules 192 personnes ont bénéficié du statut de réfugiés, soit environ 4~% des demandeurs. Ce taux baisse d’année en année, passant à 2,8~% en 2005 et 2,2~% en 2006. Certains n’ont même pas passé la terrible sélection~: entre janvier et août 2007, 223 personnes sont mortes durant la traversée.

Malte compte trois centres de détention fermés dans lesquels les migrants sont retenus de dix à douze mois en moyenne. Deux des trois centres approchent les 2~000 détenus, et «~les conditions de vie y sont déplorables, s’indigne l’ONG *. Ainsi, une délégation de parlementaires européens ayant visité un de ces centres en 2006 a fortement condamné les conditions de détention et réclamé leur fermeture »* . Sans effet pour le moment. MDM a visité les deux principaux. La surpopulation et la promiscuité qui en découle frappent en premier lieu~: «~Les détenus s’entassent dans des entrepôts de 400 personnes, certains doivent partager leur lit ou dormir à terre.~» Les équipements sanitaires sont «~insuffisants et insalubres~» . Il en résulte «~un manque criant d’intimité et d’hygiène.~» Sans surprise, «~aucune activité n’est proposée aux détenus~» . Pour l’ONG *, «~ces conditions de vie extrêmement précaires peuvent provoquer ou aggraver des pathologies mentales déjà existantes~»* .

En matière d’accès aux soins, une équipe médicale privée vient quotidiennement à mi-temps dans chacun des deux centres. Un bon point si ne demeuraient pas «~des problèmes dans l’accès aux traitements et à des soins spécifiques~» . Les détenus consomment l’eau provenant du réseau potable maltais, à la qualité douteuse. Un vrai problème pour les femmes enceintes, les mères qui allaitent et les bébés, parfois retenus «~plusieurs semaines~» malgré leur statut particulier. Enfin, MDM craint le risque de violences sexuelles sur les femmes célibataires détenues avec des hommes.

À leur sortie, qu’ils soient déboutés du droit d’asile, en attente de réponse ou acceptés, les migrants sont installés dans l’un des centres ouverts de l’île. Certains d’entre eux y vivent «~depuis près de quatre ans~» . Là encore, «~les conditions de vie ne sont pas bonnes, ni l’hygiène ni l’hébergement » , déplore MDM. Surpopulation, propagation de maladies, forte chaleur ou froid intense, problèmes dermatologiques et manque d’intimité contribuent à «~aggraver les problèmes de santé~» . Les 410 consultations médicales et 167 entretiens menés par l’ONG dans ces centres ont permis de conclure que «~les pathologies les plus répandues sont clairement liées aux conditions de vie des patients et au stress qui en découle~».

Médecins du monde appelle à un «~changement immédiat » de la politique de détention existante, et qualifie la détention systématique de «~pratique clairement inhumaine et dégradante~» . L’Union européenne, qui pensait pouvoir se faire discrète, est sévèrement tancée~: « Il ne faut pas oublier que l’Europe, notamment en repoussant l’accueil de ces demandeurs d’asile vers ses portes d’entrée, fait porter le poids de l’accueil sur des pays limitrophes comme Chypre ou Malte. » En conséquence, l’UE « ne peut se désintéresser du sort d’exilés […] qui sont accueillis encore aujourd’hui dans des conditions inhumaines et indignes du continent ». À Bruxelles d’agir.

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