Carnet du sous-sol

Un roman de Sandor Marai sur le siège de Budapest, mariant le reportage et l’analyse.

Ingrid Merckx  • 13 décembre 2007 abonné·es

Dans la Guerre des mondes de Spielberg, juste après le déclenchement des hostilités, il y a une scène de panique où une foule en délire se jette sur la seule voiture qui pourrait assurer la fuite. Comment se comportent les individus et les groupes au coeur de la tourmente ? C’est ce que décortique Sandor Marai dans Libération . L’écrivain hongrois (mort en 1989) remontant pièce par pièce le siège de Budapest pour défaire les comportements de chacun et interroger ce qui reste de la question humaine quand une société explose. Les partisans qui se donnent de l’importance pour montrer qu’ils font partie des persécutés. Les persécutés qui attisent la haine parce qu’ils se refusent au courant dominant. La disparition de tout « sentiment élevé ». La manière dont les gens acceptent les contraintes de la clandestinité et de l’enfermement. La façon dont on enterre les morts. Dont on communique sans parler. Dont on attend, dans une même cave, que quelque chose se passe. Et dont ce quelque chose arrive, ce « meurtre de minuit », le point d’acmé.

Inédit jusqu’en 2000, Libération a été écrit de juillet à septembre 1945. Quelques mois après la fin du siège de Budapest, Sandor Marai double la description quasi journalistique des événements d’une dimension qui tient de la prise de recul, de la représentation : que soulève une société assiégée ? Pour marier le reportage et l’analyse dans ce roman, il passe par le regard d’une jeune femme, fille d’un savant pourchassé, cultivée, engagée, humaine. Avec ses naïvetés, ses emportements, ses questionnements, elle est l’oeil plongé dans la cave. « Elizabeth sait que quelque chose transcende la politique, ou n’importe quel parti politique, une chose authentique qui constitue une réponse en soi : le comportement. C’est par leur comportement que son père et Tibor répondaient à une chose à laquelle ils ne pouvaient ni ne voulaient répondre à l’aide de mots. » Mais, au-delà des comportements, c’est bien le sens des mots, et donc des situations, que Sandor Marai interroge, avec un appétit sociologique, politique, philosophique. Des mots comme persécution, dignité, humanité, réalité, honte, survie, limites, nazisme, antisémitisme, bolchevisme, propagande, calculs, croyances, avenir, ennemi… et libération. Qu’est-ce au juste que la libération ? La fin des tirs ? La paix de l’âme ? La connaissance de soi ? La reconnaissance de l’autre ? Ou la conscience de ce qui s’est passé ?

Culture
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