« Ce qui manque, c’est de la cohérence et une politique suivie »

Président de l’Association des maires ville et banlieue
de France*
et maire de Sotteville-lès-Rouen, Pierre Bourguignon fustige
le désenga-gement de l’État dans
la politique de la ville
et le manque de solidarité entre les communes.

Ingrid Merckx  • 6 décembre 2007 abonné·es

Comme réagissez-vous à la flambée de violence qui a secoué Villiers-le-Bel la semaine dernière ?

Pierre Bourguignon : Ce qui s’est passé à Villiers-le-Bel aurait pu arriver dans un certain nombre d’autres villes en France, moyennes, petites ou grandes… Des quartiers trop enclavés, nous en connaissons tous ! Les familles et de nombreux jeunes n’y ont pas accès à la formation et à l’emploi. Il suffit d’un événement malheureux comme celui du 25 novembre pour les renvoyer à tout ce qu’ils subissent dans ces quartiers, notamment la relégation. À la suite des événements de novembre 2005, le gouvernement n’a pas annoncé grand-chose. C’est d’ailleurs pourquoi l’association que j’anime avec d’autres maires de tous bords a tenu à lancer une alerte au moment où le gouvernement annonce son fameux « Plan banlieue », à travers le travail de Fadela Amara. Du côté de la responsabilité gouvernementale, ceux qui n’ont pas accès à l’emploi ne peuvent pas répondre au slogan « travailler plus pour gagner plus », ni le trouver pertinent et efficace. Ensuite, ce n’est pas parce que tout le monde a l’air tranquille qu’on a réglé le fait que de nombreux citoyens connaissent toujours les mêmes problèmes d’accès au logement et à l’emploi.

Comment expliquer que rien n’ait avancé depuis 2005 ?

Du côté du gouvernement, quelques annonces ont été faites, comme le plan de réussite éducative et l’augmentation des aides à l’emploi. Mais sur le terrain, elles n’ont pas encore abouti. La politique de rénovation urbaine engagée par Jean-Louis Borloo en 2003 à travers les programmes de l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) se traduit essentiellement par des démolitions-reconstructions dans les quartiers. Or nous n’en sommes qu’à la phase de démolition. Concrètement, il n’y a rien de plus sur le terrain depuis 2005. Il y a même moins : disparition de la police de proximité, suppression des financements pour les équipes éducatives…

Nous critiquons également la non-augmentation de la dotation de solidarité urbaine (DSU). Il faut sanctuariser le financement de la politique de la ville au sens de la politique réparatrice et du renforcement d’actions sur des quartiers sensibles. Pour la première fois, la progression prévue a été ralentie. Le gouvernement n’est pas seul responsable : les régions, départements, agglomérations, grandes villes, doivent cesser de dire que la DSU doit être la même pour toutes les zones urbaines sensibles (ZUS). Elle est calculée sur le poids de la population, mais Sarcelles et Villiers-le-Bel ont des besoins bien supérieurs à ceux de Nantes ou de Marseille. Or, personne, à gauche comme à droite, ne parvient à corriger ce défaut de solidarité.

Le désengagement de l’État dans la politique de la ville est réel. Le gouvernement a transféré des fonds pour le logement sur l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), mais l’effort global n’a pas augmenté. Sur les volets éducation, culture, jeunesse et sports, l’État a restreint tous ses efforts. Cela retombe sur les collectivités territoriales, qui peinent à tout assumer. Régions et départements se trouvent confrontés à des questions budgétaires inédites. On touche à des problèmes d’organisation et de rationalisation de l’utilisation des budgets : il faut revoir les règles du jeu entre les communes, les agglomérations, les régions et l’État. C’est un Grenelle du développement urbain dont nous avons besoin.

Que penser de la consultation réalisée par Fadela Amara en vue du Plan banlieue du 22 janvier ? Fallait-il vraiment un nouveau diagnostic ?

Pour l’instant, on ne sait rien du plan annoncé. Il y a eu de grands débats par endroits, comme celui auquel j’ai participé en Seine-Maritime. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’était pas un lieu de création ou de construction mais un lieu d’écoute, et encore. Cela a seulement servi à rappeler des maux existants. Mais nous n’avions pas besoin d’un nouveau diagnostic. Depuis trente ans, toutes les analyses ont été faites. En matière d’emploi, par exemple, j’ai moi-même remis, fin 1999, un rapport sur « le territoire de la cité au service de l’emploi ». Nous savons aujourd’hui à peu près tout ce qu’il faut faire. Et nous disposons de tous les instruments de travail nécessaires : comité interministériel pour la ville, délégation interministérielle à la ville, conseil national des villes… Ce qui manque, c’est de la cohérence et de la politique suivie : à chaque gouvernement, y compris de la même majorité, on change d’orientation. Le cas présent est typique : à la formation du gouvernement en mai dernier, on a raccroché vite fait « ville » à « logement » dans l’intitulé ministériel en allant chercher une secrétaire d’État pour compléter le ministère Boutin. Fadela Amara a donc lancé sa fameuse consultation. Mais elle n’en avait pas besoin : le collectif AC le feu, à l’issue de son tour de France citoyen en 2006, a parfaitement défini les orientations générales « respect et égalité des chances » qu’elle cherchait.

L’association des maires ville et banlieue a publié 30 propositions sur ce thème. Les diagnostics se recoupent-ils ?

Tous mettent en évidence la nécessité de désenclaver : désenclaver en développant les transports en commun, pour qu’il n’y ait plus de zone de relégation. Désenclaver par l’école et la formation. Désenclaver par l’aide au développement économique local. Améliorer la péréquation entre les collectivités… S’il paraît difficile d’envisager des résultats rapides, rendre visible la construction de logements accessibles ne prendrait pas plus d’un an, et renforcer la desserte des banlieues à l’aide d’autobus pourrait être décidée maintenant. Au sujet de la police de proximité, c’est plus compliqué parce que sa suppression a servi à compenser des manques d’effectifs dans d’autres tissus urbains. La solidarité entre les communes n’a pas joué. Or, cette police est indispensable : c’est le contact de tous les jours qui permet une vraie prévention.

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