Dix-sept-ans

Bernard Langlois  • 13 décembre 2007 abonné·es

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans… »

Dix-sept ans, c’est l’âge de cette lycéenne de Chalon-sur-Saône qui écrit à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Son attention a été retenue par un article sur les travailleurs « clandestins » (les guillemets sont d’elle.) C’est un problème qu’elle dit bien connaître, dont elle parle « en connaissance de cause et en étrangère » , bien que née en France et y ayant toujours vécu.

Cette adolescente, qui demande qu’on excuse son écriture, parce que « je vous ai écrit en étude » (on l’imagine, derrière quelque livre, se planquant du pion de service…), se montre révoltée par le sort fait à ces « clandestins » , ces « sans-papiers » qui demandent, jusqu’à faire la grève de la faim, une régularisation qu’on leur refuse, « pour être enfin assimilés à leurs compatriotes étrangers en règle » ; ces étrangers « qui sont venus pendant la prospérité et qui, dorénavant, sont remis en cause quotidiennement. » Elle dénonce le « racisme » , la « xénophobie » , une « tension » qu’elle sent monter « particulièrement dans les endroits publics (écoles, bureaux). » Et à ces Français qui disent aux étrangers : « Si tu n’es pas content, retourne dans ton pays où on crève de faim » , aux employeurs dont « le slogan » est : « tais-toi ou part ! » , elle tient à dire, par l’intermédiaire de son magazine préféré, « qu’ils sont ridicules ». Et qu’ « ils ne s’imaginent pas la crise qui pourrait atteindre « leur » pays avec le départ de « ces bougnoules » ».

Belle lettre d’une petite « bougnoule » en colère, que le journal publiera, bien sûr : en 1982, date de son expédition. Et qu’il a exhumé de ses archives il y a quelques jours en la mettant sur son blog
[[Il l’a retirée au bout de deux jours, sans que l’intéressée se soit manifestée ­ assure-t-il ­, provoquant un début de polémique sur la Toile
(voir : http://soudan.blog.jeuneafrique.com)]]. On imagine que le confrère (François Soudan, directeur de la rédaction) est tombé par hasard sur ce vieux courrier en feuilletant la collection de l’hebdo et qu’il a sauté sur sa chaise en voyant la signature : « Rachida Dati. »

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans/et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade… » (Arthur Rimbaud.)

Madame de Maintenant

C’est donc cette même Rachida Dati qui, vingt-cinq après, joue les « tops » en couverture d’un magazine pipole et considère, comme son grand petit homme, que les deux nuits de révolte de Villiers-le-Bel n’ont rien à voir avec quelque malaise social que ce soit et ne relèvent que de « la voyoucratie. »

L’arrivisme restera toujours pour moi un mystère. Comment passe-t-on de l’ambition légitime, qui consiste pour chacun à tirer le meilleur de soi (de ses « talents » , comme dit l’Évangile), à cette soif inextinguible d’une ascension sociale au prix de toutes les trahisons (de son milieu, de sa classe, de son origine, de sa famille…) ? Comment fait-on pour oublier si allégrement d’où l’on vient, pour renier la petite fille qu’on a été, ses révoltes et ses enthousiasmes ? Certes, qu’il y ait dans le parcours de la favorite de notre Président une bonne dose de travail et de mérite n’est pas niable ; mais il y a aussi cette audace à forcer les portes, à trouver les bons leviers, à faire jouer les meilleurs pistons qui vous « boostent » une trajectoire et vous propulsent vers des sommets qu’on n’atteint pas sans donner bien des gages et renoncer à bien des convictions ; sans piétiner aussi la concurrence : ne dit-on pas que c’est elle, Madame de Maintenant, qui a obtenu du Prince que Rama Yade soit barrée de la liste de la délégation française en Chine ?

Comme si personne (ni Rama ni Fadela) ne devait lui disputer le monopole de la représentation des Excellences « issues de l’immigration » .

La colère de Rama

Quand Sarkozy fraîchement élu a inclus dans son gouvernement ces jeunes femmes inconnues incarnant la diversité française, on aurait presque applaudi (si dans le même temps, avec son ange Heurtebise, il ne dressait le donjon de l’Immigration et de l’Identité de même métal).

À tout le moins, on en a voulu à la gauche de n’avoir pas décelé, en son temps, ces talents venus de cette composante de la société maintenue depuis si longtemps et si injustement à l’écart de toutes fonctions représentatives, de toutes responsabilités : un peu comme ­ comment dire ? ­ des Indigènes de la République, non ? Donc Sarko, briseur de tabous en gros et en détail, en fracassait un qui méritait bien de l’être. Mais on aurait pu se douter qu’il en allait de ces ministres « exotiques » comme de leurs collègues « socialistes » : on les voulait potiches, exécutrices des basses oeuvres et, pour tout dire, un peu putes et beaucoup soumises. Ce pour quoi l’apparente rébellion, ce lundi matin, de Mme Yade ­ en ses fonctions de secrétaire d’État aux droits de l’homme ­ devant l’accueil triomphal réservé au dictateur libyen fait sensation : sera-t-elle sanctionnée ? D’autant qu’elle (cette rébellion) contraste, par sa netteté, avec les explications emberlificotées de son patron (virtuel), ce ministre mangeur de chapeau et toujours plus étranger aux Affaires, présentement logé Quai d’Orsay. La logique voudrait qu’elle le soit ­ ou que la belle Rama aille au bout de sa colère en rendant son tablier. Car, à l’évidence, le Président bling-bling et le Colonel boum-boum s’entendent comme larrons en foire.

Il est pourtant probable que le Prince ne s’offusquera pas. C’est un des talents de Sarkozy de faire flèche de tout bois ; et chacun voit bien que le coup de gueule de Rama Yade a un incomparable mérite : il couvre jusqu’à les éclipser les remontrances des socialistes, une nouvelle fois rendus inaudibles. N’est-ce pas, pour le souverain, le comble de l’habileté d’avoir inclus son opposition au sein de son gouvernement ?

La raison d’État

Sarkozy et Kadhafi, Sarkozy en Algérie, Sarkozy et Poutine : il serait abusif d’accorder au Président un brevet exclusif de cynisme. On sait ce qu’est la raison d’État, et que les droits de l’homme s’arrêtent ou celle-ci commence, comme le disait Pasqua avec sa rude franchise.

Aussi bien, ce n’est pas sur ce terrain que les Français dresseront le bûcher de l’homme qu’ils commencent déjà à regretter d’avoir porté sur le pavois. Le sort des dirigeants se joue bien davantage sur le terrain de la vie quotidienne, du chômage, du pouvoir d’achat que sur celui de la politique étrangère ; même le risque pris en s’engageant comme il l’a fait sur une prochaine libération de la malheureuse Ingrid Betancourt, quelle qu’en soit l’issue (qu’on souhaite positive, bien sûr), ne changera pas grand-chose au cours du quinquennat : Margot verse sa larme, mais revient vite au compte de ses écus, ce qui, en ces temps de vaches maigres et de gras faisans, est bien compréhensible. Mais, puisqu’il fut beaucoup question ces derniers temps des méfaits du colonialisme, laissez-moi vous recommander un livre qui ne prend pas de gants pour parler du racisme ordinaire, le nôtre : l’auteur, Odile Tobner (qui fut la compagne de l’écrivain camerounais Mongo Beti, mort au début du siècle), a pris la succession du regretté François-Xavier Verschave à la tête de l’association Survie. Elle démontre comment, depuis le Code noir (1685) jusqu’à aujourd’hui (Finkielkraut, Carrère d’Encausse et tant d’autres), la négrophobie est ancrée dans l’imaginaire français.

Déplaisant miroir qu’elle nous tend là [^2]. Il faut avoir l’honnêteté de s’y regarder.

Les faux-culs

« Les faux-culs de l’air du temps/Se pavanent à tous les vents/On les voit on les entend/

Sur les ondes et les écrans/Philosophes d’opérette/Marchands de sable prophètes/

Qui dans les salons caquettent/Rondejambent et girouettent… »

Quelques vers de Vasca, pour bien finir l’année et se donner un peu de courage pour celle qui vient (et qui, n’en doutons pas, sera pire !).

Jean Vasca, vieux troubadour de nos révoltes communes, m’envoie « le chapitre 24 de mes chroniques martiennes, mon bloc-notes à moi ». (24, déjà, on se fait vieux ! Merci l’ami.) Et vous, lecteurs, prenez et goûtez : le poète a quitté « ses quartiers Nord » et garé « son char dans le Gard » ; parce que : « Dame on fatigue/de zags en zigs… » ; qu’on est parvenu à un âge où « la mort désormais (nous) compte sur les doigts/Cette comptable experte tient ses comptes à jour… » . Pour cette fois, avoue-t-il, elle n’est « pas passée loin » . Alors : « On sort un peu plus tard planant dans ses flanelles/Allons ce n’était pas encore pour aujourd’hui/Et au bistrot d’en face on s’envoie un demi/Avec la soif de ceux qui l’ont échappé belle. » Et puisque tel est son destin et que l’heure n’est pas venue encore de prendre « un aller simple pour Mars » , Jean Vasca continue, pour notre grand plaisir, à « émonder l’arbre du verbe » et à poser des musiques et des rythmes sur ses vers, à moins que ce ne soit l’inverse. Et c’est somptueux.

« Il faut débonder de soi-même/Le jus clair et libre du chant/Pour que monte l’eau d’un poème/Un peu parfois de temps en temps… [^3]

Heureusement qu’il est des gens qui sont restés fidèles à leurs dix-sept ans, non ?

[^2]: Du racisme français, quatre siècles de négrophobie, Odile Tobner, Les Arènes, 300 p., 19,80 euros .

[^3]: Un aller simple pour Mars, paroles et musique de Jean Vasca, produit par l’auteur, distribution EPM Socadisc.

Edito Bernard Langlois
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