Il est où ce plan Marshall ?

Deux ans après les violences urbaines de 2005, rien n’a changé, estiment élus, associations et habitants au lendemain des événements de Villiers-le-Bel. On connaît pourtant les solutions, mais les décisions tardent.

Ingrid Merckx  • 6 décembre 2007 abonné·es

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. « Deux ans après les émeutes urbaines, le *Manifeste des maires des villes de banlieue , qui réclamait un engagement de toutes les politiques publiques, est toujours d’actualité. Les banlieues sont absentes de toutes les priorités affichées par le gouvernement pour relancer le développement sur des bases nouvelles : qu’il s’agisse du Grenelle de l’Environnement, du projet de loi de finances 2008 ou des propositions de la commission Attali pour la relance de la croissance »* , alertait, le 29 octobre, l’Association des maires ville et banlieue de France.

Illustration - Il est où ce plan Marshall ?


La cité des Bosquets, à Montfermeil, souffre d’enclavement.
NGYEN/AFP

Ces élus n’ont donc pas été surpris de constater qu’une fois de plus, une poudrière flambait. 130 policiers ont été blessés par des jeunes munis de fusils de chasse à Villiers-le-Bel, lors des affrontements qui ont suivi la mort de deux adolescents le 25 novembre. « On a eu le sentiment qu’ils venaient pour tuer », a témoigné l’un d’eux. La violence armée succédant aux dégradations et incendies perpétrés en 2005. Mais la situation a-t-elle changé depuis ? Qu’y a-t-il de différent aujourd’hui sinon qu’il existe un précédent récent ? Un précédent qui a débouché non sur le « plan Marshall des banlieues » tant annoncé, mais sur le retour d’une loi d’exception : le couvre-feu, décidé alors par le Premier ministre Villepin. Tandis que son ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, s’appliquait à punir les coupables. Pendant les violences de 2005, 3 889 personnes ont été placées en garde à vue, dont 1 919 mineurs, d’après le blog de Laurent Fabius ; 1 011 personnes ont été écrouées ; 54 % des interpellés étaient connus de la police.

Deux ans plus tard, la politique est la même, sinon pire. « La réponse aux émeutes, c’est pas plus d’argent encore sur le dos du contribuable, […] c’est l’arrestation des émeutiers », a déclaré le président Sarkozy, le 29 novembre, en réaction aux événements de Villiers-le-Bel. Alors que le plan de rénovation urbaine décidé par Jean-Louis Borloo en 2003 n’a pas encore porté ses fruits, le Président multiplie les effets d’annonce autour d’un « Plan banlieue » porté par la ministre de la Politique de la ville, Fadela Amara. « Après tout ce qui a été fait, et bien fait, sur les bâtiments, on va investir sur les gens » , a-t-il précisé, s’engageant à « donner plus à ceux qui veulent s’en sortir honnêtement » et à être « plus sévère à l’endroit de celui qui n’a comme seule idée que d’empoisonner la vie des autres » . « Cela ne sert qu’à opposer les gens » , a commenté le collectif AClefeu, le 30 novembre, sur France Inter. Quid du vaste « plan pour l’insertion professionnelle des jeunes des quartiers en difficulté » ? Ou des grosses sommes agitées pour « sortir les quartiers difficiles de l’engrenage de la violence et de la relégation » ? Nicolas Sarkozy a remisé ses promesses de campagne, et le fameux Plan banlieue, pourtant annoncé dans la lettre de mission de la ministre de l’Emploi datée du 11 juillet, a été repoussé au 22 janvier. C’est bien la première fois que le Président prend son temps pour faire exécuter une décision. Il a fait de la banlieue un « enjeu majeur » … mais pas prioritaire.

« Ce qui s’est passé à Villiers-Le-Bel n’a rien à voir avec une crise sociale, ça a tout à voir avec la voyoucratie » , a-t-il expliqué le 29 novembre. « Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on peut tout se permettre », a ajouté Fadela Amara. Et quand on est au pouvoir, le peut-on ? « Il y a eu trop de promesses et pas assez d’actes », a déploré François Bayrou, le 28 novembre sur France Inter, ironisant sur « la 10e ou 12e fois qu’on nous promet un plan Marshall pour les banlieues. Les habitants et les élus de ces villes n’y croient plus ». « Les crédits de rénovation urbaine s’épuisent et ceux des associations sont en baisse », a rappelé le président socialiste de la région Île-de-France, Jean-Paul Huchon, martelant, au sujet du plan banlieue : « Cessons de l’annoncer, faisons-le. » « Face au désespoir de ceux qui vivent dans nos banlieues, il serait sans doute temps que les autorités régionales jouent collectif » , a rétorqué Yves Jégo, député UMP de Seine-et-Marne, sur son blog, le 27 novembre. À Villiers-le-Bel, où 30 % des 16-25 ans sont sans emploi, « rien n’a été fait » pour eux depuis 2005, regrette la directrice de la Mission locale Val-d’Oise-Est, Marie-Michelle Pisani. « On est confrontés à des situations gravissimes tous les jours, notamment via le point santé de la Mission, où la souffrance qui s’exprime est énorme » , a-t-elle confié à l’AFP. Confirmant ce que tout le monde sait : « Depuis 2005, de nombreuses associations qui entretenaient le lien social ont vu leurs financements diminuer. »

« Les jeunes des banlieues ont très bien compris qu’ils avaient été utilisés comme des appâts […] pour racler 5 % de voix au FN », a déclaré Azouz Begag, ancien ministre du gouvernement Villepin à Libération le 28 novembre.

Pour changer la donne, les propositions ne manquent pas : récemmment, l’Association des maires ville et banlieue en a concocté 30. Et AClefeu 125, à partir des 20 000 doléances recueillies dans les 120 villes visitées par ce collectif en 2006. Le plan Amara de janvier leur fera-t-il une place ?

Société
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