Retraites : de conflit en conflit ?

Thierry Brun  • 3 décembre 2007
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Masquée par l’intervention de Nicolas Sarkozy sur TF1 et France 2, des tables rondes tripartites étaient organisées les 26 et 29 novembre autour des régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP. Résultat : après dix jours de grève, les syndicats ont appelé à de nouveaux rassemblements unitaires locaux ou régionaux le 4 décembre. Et des grêves de 24 heures sont prévues à la SNCF, à une date non encore fixée mais avant les vacances de Noël, et à la RATP, le 12 décembre, à l’appel de la CGT. Les syndicats des deux entreprises veulent ainsi peser sur la phase finale des nÈgociations sur la rÈforme des rÈgimes spÈciaux de retraite..

Il était peu question ces derniers jours des négociations sur les régimes spéciaux de retraite, passées au second plan après l’intervention médiatique et creuse de Nicolas Sarkozy sur le pouvoir d’achat des Français. Contrairement aux affirmations du chef de l’Etat, « cette réforme, je l’ai promise, je l’ai tenue », et surtout de François Fillon, qui n’est plus à une provocation près, ce conflit est loin d’être terminé. Les syndicats de cheminots et ceux de la RATP sont sortis, jeudi 29 novembre, « très mécontents, voire en colère » de réunions de négociation avec leurs directions sur leurs régimes spéciaux de retraite, rapporte FO cheminots qui a jugé la table ronde tripartite (Etat, direction d’entreprise et syndicats) à la SNCF « presqu’inutile voire contre-productive… ».

Six organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFTC, Unsa et CFE-CGC) ont ainsi appelé à des rassemblements unitaires locaux ou régionaux le mardi 4 décembre, « afin de maintenir la pression sur le gouvernement et la direction de la SNCF, jour de la deuxième table ronde tripartite ». Sud Rail, deuxième organisation syndicale de cette entreprise, a demandé que la direction « fasse rapidement de vraies propositions ». La CFDT a affirmé que « le déblocage de la grille salariale ne sera même pas respecté ». « Si cela continue, ça va éclater bien avant le 20 décembre », date de son prochain préavis de grève (de 59 minutes), a indiqué son secrétaire général, Arnaud Morvan. FO envisage déjà « une réaction unitaire » si les cinq prochaines tables rondes prévues d’ici le 18 décembre sont « à la même hauteur ». La CGT n’a cependant pas attendu les prochaines tables rondes pour lancer un nouveau mouvement de grève à la SNCF et à la RATP, pour obtenir un geste sur deux des trois piliers de la contre-réforme : le système de décote et l’indexation des pensions sur les prix. Vexé par le nouvel orage social qui se profile, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, a qualifié de « parfaitement incompréhensible » ce nouveau mouvement de grève contre la réforme des régimes spéciaux. Et continué de jouer la division syndicale : « observe d’ailleurs que les syndicats n’ont pas tous la même position », a déclaré le ministre.

Les directions d’entreprise, particulièrement à la SNCF, ont soufflé sur les braises. Au point de proposer des reculs par rapport aux textes signés… par Xavier Bertrand, ministre du Travail. Il n’est donc pas étonnant que ces négociations en trompe l’œil sème la grogne. La fédération CGT des cheminots considère « que le compte n’y est pas, au regard de l’insuffisance des réponses apportées par la direction de la SNCF aux propositions de la CGT, sur lesquelles l’ensemble des organisations syndicales s’est retrouvé ». La fédération SUD-Rail a pour sa part rappelé le mandat « confirmé par les assemblées générales de grévistes pendant dix jours » : « Refus de l’allongement de la durée de cotisation, refus de l’instauration du système de décotes, refus de l’indexation des pensions sur les prix, refus du double statut qui pénalisera les futurs embauchés ». SUD-Rail ajoute que la direction « a simplement ressorti quelques mesures déjà annoncées le 21 novembre, toutes destinées à mettre en œuvre l’allongement de la durée de cotisations et le report des départs en retraite au-delà de 55 ans (50 ans pour les agents de conduite) ».

Même frustration à la RATP lors d’une séance similaire jeudi, la deuxième depuis la fin de la grève. « Beaucoup de questions de la réunion précédente sont restées en suspens », selon la CGT, qui attendait « des réponses sur la revalorisation des échelons ». Dans le programme figurait la validation de trimestres pour le calcul de la pension. Les tarifs de rachat d’années d’études sont « prohibitifs », estime la CGT, qui indique que l’enveloppe de la RATP pour accompagner l’ensemble de la réforme s’élève à 21 millions d’euros. Le calendrier de négociations à la RATP a été resserré, la réunion conclusive étant avancée du 13 au 11 décembre. SUD RATP, dont les locaux ont été dévasté dans la nuit du 29 au 30 novembre, a indiqué qu’il « n’attend rien de ces négociations, qui n’ont que vocation à accompagner l’allongement des années de cotisation, aux confins de l’exploitation des travailleurs, bien loin de l’idée progressiste que nous avons de la société ».

Ces négociations piétinent, sans doute pour gagner du temps, et manifestement, le chef de l’Etat rate là une bonne occasion de faire un geste en faveur du pouvoir d’achat des actifs et du même coup des retraités, ne serait-ce qu’en augmentant les salaires et en luttant contre les emplois précaires. Les effets sur l’ensemble du régime des retraites n’auraient rien d’anodin, en particulier sur les régimes spéciaux, même s’ils ne concernent que 361 000 actifs et 500 000 pensionnés de la SNCF, de la RATP, d’EDF et GDF (5 % de la masse de retraites et environ 11 milliards d’euros de financement). En laissant de côté cette question du pouvoir d’achat, le gouvernement pénalise de nombreux salariés qui partent en retraite avant d’avoir obtenu le nombre d’annuités nécessaires, qu’ils soient couverts par un régime spécial ou non (entre 33 et 37 ans, selon le régime de retraite). Et il ne résoud rien en ce qui concerne le financement des retraites.

La Cour des comptes a récemment relevé un manque à gagner de 3 milliards d’euros pour le régime général du fait des exonérations de cotisations sur les stock-options versées aux dirigeants d’entreprise. Et 25 milliards d’euros d’allègement de cotisations patronales en 2007 (la prévision est de 30 milliards en 2008) manquent cruellement à l’ensemble de la protection sociale. Même Lionel Jospin, ancien Premier ministre, membre d’un parti socialiste favorable à la réforme des régimes spéciaux, a osé dire il n’y a pas si longtemps : « Si on veut regarder des régimes très spéciaux, qu’on regarde d’abord du côté des salaires mirobolants et des montagnes de stock options de certaines catégories extrêmement privilégiées ».

Henri Sterdyniak, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a suggéré au gouvernement que l’allongement de la durée de cotisation exigée pour une retraite complète devait faire l’objet d’une « vraie réflexion » au préalable. Sous-entendu : il n’y en a pas eu. Le « risque », selon lui, est que « le recul de l’âge de la retraite [se traduise] par une augmentation du nombre de chômeurs », risque qu’il avait pointé dès 2003, lors de l’adoption de la réforme Fillon. « On a encore 650 000 pré-retraités ou personnes qui sont dans des dispositifs de dispense de recherche d’emploi, ce qui veut dire qu’on ne réussit pas encore à employer tout le monde jusqu’à 60 ans », a-t-il ajouté, estimant que les politiques gouvernementales pour accroître l’emploi des seniors étaient « insuffisantes ».

« Le gouvernement, suivi par la majorité des médias, a commencé à préparer l’opinion à un nouveau recul de l’âge de la retraite qui serait décidé au point d’étape prévu en 2008, ont souligné la Fondation Copernic et Attac. Mais cela ne correspond en rien à l’état des lieux dressé par le rapport du Conseil d’orientation des retraites dont la présentation a été biaisée en faveur de préconisations qui ne se déduisent pas logiquement de ses analyses. Le rapport établit au contraire qu’il n’y a plus de problème de financement à l’horizon 2020 : cela ne représente qu’un déplacement de 0,7 point de PIB vers les retraites, ce qui est la marge d’erreur de l’évaluation et moins que le déficit courant. A l’horizon 2050, le besoin de financement est évalué “entre un peu moins de 2 points et près de 5 points de PIB”. C’est peu, et il serait absurde de mettre en place aujourd’hui des mesures visant un horizon aussi éloigné et imprécis ».

Il s’agit donc pour l’Elysée et Matignon de faire sauter le verrou que représentent ces régimes spéciaux, pour ensuite passer à la négociation sur les retraites prévues en 2008, qui concerne l’ensemble du salariat. S’engagera là la nouvelle « contre-réforme des retraites » (prévue par la loi Fillon en 2009) qui imposera une retraite à 61 ans ou 62 ans, ce qu’exige le Medef. Or, la moyenne d’activité des français est restée à 37 annuités. Vouloir les faire cotiser 40 annuités (et demain 41, 42 annuités), c’est les contraindre à perdre sur tous les tableaux.

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