Feu !

Bernard Langlois  • 17 janvier 2008 abonné·es

Chacun connaît ce vieux proverbe politiquement incorrect, aussi frotté de racisme anti-arabe (puisque aux Arabes attribué) que de machisme ordinaire : « Bats ta femme tous les matins, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait. » (Pardon, mon Dieu, de contribuer à propager de telles horreurs !)

C’est la dérive des socialistes qui m’y fait penser. Adaptons : n’hésitez jamais à leur cogner dessus sans trop vous embarrasser d’argumenter, ils savent très bien de quelles turpitudes ils sont coupables.

L’affaire du traité de Lisbonne et du passage obligé par la case « révision constitutionnelle » pour le faire ratifier par voie parlementaire est emblématique. La question n’est même pas de savoir si ce prétendu « mini » traité, ou « traité simplifié », est, d’un point de vue de gauche, un « bon » texte : tout le monde a bien compris qu’il s’agissait de faire avaler aux peuples d’Europe une nouvelle mouture de ce traité constitutionnel que deux d’entre eux (au moins) avaient clairement rejeté par référendum, entraînant sa mise au panier. À supposer même qu’il le soit (bon : c’est-à-dire ouvrant la voie à des améliorations démocratiques et sociales d’un édifice européen technocratique et mercantile), ce que pense une majorité de l’appareil socialiste, ce que récuse une minorité, la seule question qui vaille à mon sens est celle-ci : est-il admissible qu’un projet, quel qu’il soit, que le corps électoral a repoussé par une majorité incontestable lors d’une consultation au suffrage direct venant sanctionner un long débat public dont chacun s’est plu à reconnaître la qualité (même s’il lui a fallu s’imposer en perçant la chape médiatique qui fit tout pour l’étouffer ­ ce qui rend la victoire du « non » plus significative encore) ; est-il admissible, donc, qu’on choisisse de revenir sur cette décision du « peuple souverain » (pourquoi ça vous fait rire ?) par le biais d’un vote parlementaire acquis d’avance ? Non, bien évidemment, un gamin de 5 ans comprendrait ça ; et qu’accepter cette procédure, pour des gens qui se disent démocrates, relève de la forfaiture. À la forfaiture de Sarkozy (qu’on dira de nature), de son clan, de la droite désormais à sa main, s’ajoute donc celle de cette soi-disant opposition, prétendument de gauche, qui a choisi de boycotter Versailles pour mieux laisser s’imposer Lisbonne.

Nous ne pouvons plus avoir d’indulgence pour ces gens-là, leurs pratiques cauteleuses, leur hypocrisie congénitale. Comme disait le poète : « Feu sur les ours savants de la social-démocratie ! »

LA PUNITION DES URNES

Puisque nous voici entrés déjà en une nouvelle campagne électorale (qui relève du local, mais dont les deux camps entendent et s’entendent pour faire « un test national » ), souverains mes frères (pourquoi vous riez ?), armons-nous donc de ce sceptre à nous dévolu, je veux dire la carte d’électeur, et faisons subir aux socialistes la punition des urnes. La seule qui les affecte.

Sachons néanmoins être justes dans notre légitime sévérité : tous les socialistes ne sont pas à mettre dans le même sac. Et tous ceux qui, sur cette question basique du Congrès de Versailles, feront le choix de refuser l’attitude de Ponce-Hollande et iront le 4 février [^2] déposer leur « non » dans l’urne, mériteront notre indulgence (il va de soi que, indulgence ou sévérité, tout ça vaut aussi pour les alliés et supplétifs du PS, Verts et radicaux). Quelle que soit l’envie qu’on puisse avoir, à ce scrutin municipal, de tailler en pièces les troupes sarkoziennes, nous devons faire comprendre enfin aux socialistes que le désistement en leur faveur ne saurait être automatique, que notre vote du second tour ( a fortiori du premier) ne leur est pas acquis d’avance. Il conviendra, dans chaque situation locale, de prendre en compte les différents paramètres, dont en premier lieu bien sûr celui du bilan pour les sortants, ou encore celui du degré de malfaisance de l’adversaire de droite ; mais je préconise que dans la foulée, et avec d’autant plus de force que sont éminents le rang et la responsabilité du candidat considéré (que François Hollande échoue à conquérir la Corrèze ne changera pas la face du monde, après tout, et cela le fera peut-être réfléchir à l’inconvénient qu’il y a à renier ses engagements ­ la promesse du référendum était actée ­ et à mépriser à ce point la démocratie qu’on prétend servir), le paramètre Europe, Lisbonne, Congrès de Versailles soit jugé essentiel dans le choix du bulletin que nous glisserons dans l’urne.

Aucune raison pour que l’électeur de gauche soit l’éternel cocu du suffrage. Alors : tir aux pigeons !

TÉLÉVISION ET PUBLICITÉ

Cogne tous les matins sur ton socialiste (ou assimilé), si tu ne sais pas pourquoi, lui le sait ! Veut-on un autre exemple de l’inconséquence de ces tristes sires, les soi-disant héritiers de Jaurès ? L’affaire de la publicité à la télévision.

Le président bling-bling, pour qui tout fait ventre, lance en l’air ­ comme ça, pour voir, et à la surprise générale (à commencer par celle de ses féaux en charge du dossier : la ministre Albanel ou le conseiller-bouffon Benamou) ­ l’idée d’une suppression totale de la publicité sur les chaînes de télévision du service public, qui percevraient, en échange du manque à gagner, une taxe sur la manne publicitaire dès lors réservée aux seules chaînes commerciales. C’est très précisément ce que proposait, à la fin des années 1980, un manifeste lancé à l’initiative de gens du métier (comme le réalisateur Ange Tasca), de politiques (comme Max Gallo), de syndicalistes (comme Édouard Guibert), de sociologues (comme Pierre Bourdieu) et de publicitaires (comme Claude Marti). Chacun sait que le système actuel, asservi à l’audimat (la course à l’audience), condamne les chaînes publiques, dont la généraliste France 2, à un suivisme catastrophique de la chaîne commerciale leader, TF 1. Résultat : médiocrité et putasserie sur tous les écrans (et question récurrente : à quoi bon un service public qui nous sert les mêmes programmes merdiques et les mêmes infos pourraves que la maison Bouygues du trottoir d’en face ?). La seule façon d’en sortir, et de permettre une programmation de qualité, digne des missions de service public : échapper à toute emprise de la pub. Le manifeste Ange Tasca (donnons-lui ce nom en hommage à son initiateur principal) fit grand bruit et faillit connaître un grand destin, qui aurait donné à notre télé publique une situation à peu près comparable à celle de la BBC : le Bureau national du PS donna son aval, à l’unanimité, Matignon (Rocard à l’époque) se dit prêt à en pousser l’étude… jusqu’à ce que l’Élysée de François Mitterrand le mette à la poubelle, sous la pression des publicitaires. Sarkozy, donc, relance l’idée (avec l’ajout d’une taxe sur l’Internet), on ne peut plus conforme au vieux principe : télé privée fonds privés, télé publique fonds publics. Eh bien, hormis Rocard, plus personne dans les rangs socialistes ne se souvient que c’est une idée de gauche, qui fut défendue par la gauche ! Et tous, Premier secrétaire en tête, de crier au charron et d’emboîter le pas à des personnels et des syndicats scotchés sur leurs réactions corporatistes : et si le projet présidentiel était le premier pas vers la privatisation de France 2 ?

Vous voulez quoi au juste, mes chers petits camarades de mon ancienne maison : continuer à faire de la merde ? Allons, reprenez-vous !

CHICHE !

Alors, bien sûr, il ne faut pas être naïf. Et la vigilance s’impose quant à la mise en oeuvre d’un tel chantier (il faudra de solides garanties sur le budget compensatoire, qui doit permettre la mise en oeuvre d’une vraie télé de service public, dont on a eu des ébauches intéressantes dans le passé ­ en gros, avant Hervé Bourges, qui inaugure l’ère des marchands de soupe).

Mais comment se renier au point de ne pas se saisir de cette proposition pour commencer à lui donner un contenu qui marquerait, pour le coup, une vraie rupture ? Juste parce qu’elle émane de Sarkozy et qu’il nous la jette comme un leurre (enrobé dans cet autre emprunt qu’est la « politique de civilisation » ) pour n’avoir pas à s’expliquer sur le naufrage de sa politique économique et sociale ? On ne leur demande pas d’être dupes, à nos socialos. On leur demande juste un peu de mémoire, un minimum de colonne vertébrale, un rien de panache qui les pousse, quand ça vaut le coup, à dire : chiche !

Mais c’est sans doute déjà beaucoup demander.

[^2]: C’est le 4 février que doit se réunir à Versailles le Congrès (députés et sénateurs) pour décider ou non de modifier la Constitution. Dans le même temps, et de façon fort symbolique, est lancé un appel au peuple à faire à nos élus un brin de conduite. Voir : .)

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 8 minutes