Flexibilité assurée

Les organisations patronales ont imposé leurs vues dans le projet d’accord sur la modernisation du marché du travail. Des mesures sur la flexibilité sont acquises alors que la sécurisation des salariés est renvoyée à plus tard.

Thierry Brun  • 17 janvier 2008 abonné·es

Quatre mois et vingt séances de négociation pour un projet d’accord dont nombre de décisions autour de la « modernisation » du marché du travail restent virtuelles… Le résultat semble bien mince aux organisations syndicales, qui seront majoritairement signataires. La CFTC et FO ont annoncé dès lundi qu’elles valideront le projet d’accord. La CFE-CGC s’est prononcée favorablement mardi. La CFDT devrait les rejoindre ce jeudi. Dès l’issue des négociations le 11 janvier, seule la CGT a annoncé qu’elle n’apposerait pas sa signature sur un texte contenant « de nouvelles mesures de flexibilité imposées aux salariés » .

Illustration - Flexibilité assurée


Manifestation à la fac de Jussieu, en mars 2006, contre le Contrat première embauche. DE SAKUTIN/AFP

Le projet d’accord de modernisation du marché du travail revêt pourtant une grande importance pour le Medef et le gouvernement. Il doit ouvrir la voie à la « flexisécurité à la française », qui résoudrait les problèmes d’emploi. Patronne du Medef, Laurence Parisot y voit une réforme « qui sera historique » . Les négociations avaient aussi pour but de tirer un trait sur le contrat nouvelles embauches (CNE).
La gestation d’un tel accord a sans doute battu un record de durée. Il faut remonter aux travaux des « groupes de délibération sociale » d’octobre 2006, lancés par le Medef et réunissant les partenaires sociaux, pour qu’émerge en juin 2007 un « recensement des situations et des problématiques concernant le marché du travail » . De « vraies » négociations ont débuté en septembre au pas de charge, selon le voeu du gouvernement et de Nicolas Sarkozy. La synthèse finale du texte a été préparée par le Medef, et les termes de l’accord reposent sur la base des travaux menés depuis plusieurs mois par le patronat de la métallurgie, chef de file de la négociation.

Le même patronat a dû cependant manger son chapeau dans les dernières heures de négociation pour obtenir la signature d’organisations syndicales. Certains objectifs fondamentaux pour le patronat ont été revus à la baisse. L’accord entérine cependant des mesures de flexibilité et laisse en suspens la sécurisation des salariés. Les mesures progressistes sont de faible portée ou renvoyées à des négociations ultérieures.

Le CDI revu et corrigé

Il sera plus difficile d’accéder au contrat de travail à durée indéterminée (CDI) et plus facile d’en sortir. Il demeure néanmoins « la forme normale et générale du contrat de travail » dans le projet d’accord, qui entérine deux régressions majeures. La première « institue » une période d’essai « interprofessionnelle » dont la durée est allongée. Le nouvel accord permet une période d’essai entre 1 et 2 mois pour les ouvriers et employés, entre 2 et 3 mois pour les agents de maîtrise et les techniciens, et entre 3 et 4 mois pour les cadres, périodes qui peuvent être renouvelées « une fois par accord de branche étendu » , alors que les accords de branche prévoyaient 1 mois de période d’essai pour les employés et ouvriers, et 6 mois pour les cadres supérieurs. Autre régression, un nouveau mode de rupture accompagnera les contrats de travail en CDI. La « rupture conventionnelle » n’est ni un licenciement ni une démission, et est destinée à « minimiser les sources de contentieux » . Il s’agit en quelque sorte d’une séparation à l’amiable qui sera « homologuée » par la direction départementale du travail dans un délai de 15 jours. « Cette procédure prive le salarié de tout recours en prud’hommes » , note l’Union syndicale Solidaires.

La rupture du contrat de travail est accompagnée d’une nouvelle forme d’indemnisation, une des rares avancées, de faible portée, validée dans le texte. Le texte prévoit d’instituer « une indemnité de rupture interprofessionnelle unique » , quel que soit le type de licenciement. Elle est versée à partir d’un an d’ancienneté (contre deux ans aujourd’hui) et son montant ne peut être inférieur à 20 % du salaire mensuel par année de présence, ce qui est plus avantageux que l’ancien dispositif (10 % du salaire mensuel). Mais, dans le cas de la « réparation judiciaire du licenciement » , l’accord demande au législateur de fixer « un plafond et un plancher au montant des dommages et intérêts susceptibles d’être alloués en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse » .

Une sécurisation qui reste à négocier

Les quelques autres dispositifs qui pourraient apparaître favorables aux salariés sont renvoyés à des négociations ultérieures. C’est le cas de la « portabilité » des droits à la couverture complémentaire santé et prévoyance, du droit individuel à la formation (DIF) prévu dans l’accord national interprofessionnel de 2003 et du compte épargne-retraite. Ces différents points sont renvoyés aux négociations de branches professionnelles. Pour les demandeurs d’emploi de moins de 25 ans « involontairement privés d’emploi », il est certes « institué » une prime forfaitaire, mais les conditions d’accès à cette prime sont renvoyées à la négociation de la prochaine convention d’assurance chômage, qui s’ouvrira au cours du premier semestre 2008. L’accord renvoie aussi les modalités d’attribution « d’un revenu de remplacement aux chômeurs » à cette négociation, une « feuille de route inacceptable » pour la CGT. Car l’objectif est de « faire dépendre les droits à indemnisation de données aléatoires liées à des objectifs de politique économique » .

Un nouveau contrat précaire

Un contrat à durée déterminée « à terme incertain » , d’une durée minimum de 18 mois et maximum de 36 mois, est créé. Ce CDD à objet défini, qui vient s’ajouter aux nombreux contrats précaires existants, a tout de l’usine à gaz. Il n’est « institué » qu’à titre expérimental et ne concerne que les ingénieurs et cadres. Il valide, lui aussi, un nouveau mode de rupture « pour réalisation de l’objet défini au contrat » , qui devra être encadré par un accord de branche. Lors de sa conclusion, il ouvre droit à une indemnité de rupture « d’un montant égal à 10 % de la rémunération totale brute du salarié et non assujettie aux prélèvements sociaux et fiscaux » , par conséquent moins avantageuse que dans le cas de rupture du CDI.

Il est cependant paré de vertus par les organisations patronales, qui voient dans ce contrat une nouvelle étape vers la généralisation des contrats précaires, recommandée par la commission Attali sur la libération de la croissance. Dans une note sur la réforme du marché du travail, publiée en septembre 2007, les représentants patronaux de la commission (les syndicats n’y ont pas participé), dont Michel de Virville, ont repris la plupart des mesures phares inscrites en 2004 dans le rapport de ce dernier, Pour un droit du travail plus efficace . Y figurait le « contrat de projet » , dont le terme serait lié à la réalisation d’une mission précise. La commission avait repris l’idée d’une rupture « d’un commun accord » des contrats de travail prônés par le Medef.

Ces contrats de travail de courte durée sont en plein essor depuis trente ans, a indiqué une étude du ministère de l’Emploi publiée en mars 2007. « Les emplois en contrat court représentent aujourd’hui 10 % des salariés du secteur privé hors contrats aidés, soit deux fois plus qu’il y a vingt ans. Actuellement, deux salariés sur trois sont embauchés en CDD » . L’étude précise que 18 % des salariés en CDD en mars 2001 et 20 % des intérimaires étaient au chômage l’année suivante, contre 3 % des CDI embauchés la même année. On connaît donc les effets sur l’emploi de tels contrats, CNE compris. Mais les partenaires sociaux ont jugé bon d’expérimenter un nouveau type de contrat précaire. Ceux-ci ont même prévu des aménagements « nécessaires à ce dispositif » après évaluation.

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