Impression favorable

Si « Politis » a 20 ans, les imprimeries Rivet, aux portes de Limoges, fabriquent l’hebdo depuis un an. Reportage au cœur d’une ruche qui participe au dynamisme et à l’éclat du journal.

Jean-Claude Renard  • 24 janvier 2008 abonné·es

Mardi matin. Fin de bouclage. L’heure des ultimes bons à tirer (les fameux BAT) sur les dernières pages de Politis . Soit l’édito, une ou deux pages politiques, et l’ajustement de quelques éléments nouveaux dans les diverses rubriques. Les titres en une sont choisis. Après quoi, les pages du journal sont rassemblées dans un fichier PDF. Mardi après-midi, sortie papier. Dernière relecture. Avant-dernier BAT. 16 heures. Le fichier est transmis, via un serveur, à l’imprimerie Rivet, située à Limoges. Après vérifications de part et d’autre, le BAT définitif tombe vers 17 heures.

À une dizaine de kilomètres au nord de la capitale limousine, dans la zone d’activités industrielles, s’entame une autre course contre la montre, parmi d’autres courses, d’autres étapes. Rivet est une «~imprimerie intégrée~», c’est-à-dire qui étend son travail, pour tout canard, de la réception des fichiers à l’expédition des exemplaires imprimés.

Voilà près d’un siècle que l’imprimerie, aujourd’hui dirigée par Christian Sirieix, a sorti ses premières impressions, ses premiers exemplaires, avec le nom de son fondateur en guise d’enseigne. « Étienne Rivet a été également une figure de la Résistance dans la région limousine au cours de la Seconde Guerre mondiale » , raconte Pierre Chardon, directeur de production. Dans les années 1950, Étienne Rivet cède son entreprise au parti communiste local, avant que la maison ne se développe dans différents secteurs. Elle imprime chaque nuit quinze mille exemplaires du quotidien du cru, l’Écho , rayonnant dans les trois départements limousins (Creuse, Haute-Vienne et Corrèze), la Dordogne et l’Indre. Mais encore les différentes publications de la CGT (comme la Vie ouvrière ; Ensemble , le gratuit à l’intention des syndiqués ; Vie nouvelle , son journal des retraités~; VO impôts~ ; des guides juridiques). Non sans hasard~: trois fédérations (Énergie, Cheminots et Service public) comptent parmi ses actionnaires. « Depuis le milieu des années 1990 , poursuit Pierre Chardon, de structurations en restructurations, Rivet est devenue indépendante, autonome. Dans son assemblée d’actionnaires, aux fédérations de la CGT s’ajoutent des industriels locaux, soucieux du pluralisme dans la région. »

En 1994, l’entreprise comptait vingt-quatre salariés. Ils ont aujourd’hui dépassé la centaine. Sortent aussi de ses presses différents documents d’agences de publicité, de la grande distribution, de comités d’entreprise, un flot de publications encore, tel que le Journal de Stains , hebdomadaire.

Depuis un an environ, Politis est donc imprimé dans cette ruche, qui tourne 24 heures sur 24, du dimanche soir au samedi matin. Passé les bureaux informatiques, dans la première zone d’impression, un roulis assourdissant couvre les 800 m2 de surface. L’échange de propos a dû laisser place aux gestes assurés. Pas de casques pour les ouvriers, mais des protections auditives. Deux machines à plat, gavées de feuilles par un imprimeur, permettent un travail délicat de découpe et de perforation, et de vernir, ce que le jargon nomme des « moutons à cinq pattes ». À côté, le massicot massicote, l’encarteuse fait tomber ses cahiers de plusieurs pages un à un. Ça façonne à l’infini, lie, coupe, assemble ce qui est imprimé. Même bruit assourdissant de machines en transe de mécanique dans l’atelier de routage, entre les metteuses sous film ou sous bande, et l’étiquetage, exemplaire par exemplaire, pour les abonnés. Dans une autre vaste salle, la rotative Uniman, longue de trente-huit mètres, décline ses trois unités d’impression et ses deux plieuses. C’est une rotative sans sécheur, capable d’imprimer 96 pages d’un seul trait, dans un format proche d’un tabloïd, plutôt destiné à la presse quotidienne, dont le poids du papier varie entre 40 et 70 grammes. Elle marne dru jour et nuit. À peine plus loin, le magasin concentre 800 tonnes de papier, en bobine ou à plat sur palettes. Derrière le magasin, une rotative sécheuse, l’Heidelberg, déroule ses énormes bobines. Ça défile à toute allure, au fil de huit groupes qui additionnent leur couleur, avant de s’achever dans un sécheur, puis un refroidisseur. La machine est capable d’avaler 30 000 exemplaires par heure d’un journal comptant 32 pages. Au bout de la bécane, le produit est fini. Toutes les quinze minutes, l’un des premiers conducteurs, Arnaud Chrétien, vérifie l’encrage et le bon pli à la sortie. « C’est une question de vigilance » , qu’il crie par-dessus le brouhaha. À quelques pas, un receveur, l’échine courbée toujours, multiplie la manutention de grosses piles de journaux, entre la sortie de machine et les palettes. Il lui arrive de porter six tonnes de papier en une seule journée de labeur. « Un travail de forçat » , convient-il, sans s’épargner un large sourire.

C’est précisément sur l’Heidelberg qu’est imprimé Politis . Chaque mardi, l’imprimerie enregistre le nombre d’exemplaires à tirer, celui distribué en kiosques, celui des abonnés ­ qui peut évoluer. Les fichiers sont contrôlés dans leur intégration informatique, pour qu’ils soient parfaitement imprimables. Pour un Politis de 32 pages, 16 plaques sont nécessaires, « accrochées » vers 19 heures, qui vont nourrir la grosse machine. L’Heidelberg s’ébranle alors. Dès les quatre premiers milliers d’exemplaires imprimés (sur les 30 000 au total), le routage démarre, autour de 21 heures. Cela va durer un peu plus de deux heures, tandis que les impressions se poursuivent. Les travaux se chevauchent ainsi. Vers 23 h 30, les panières en direction de La Poste sont prêtes et apportées au centre de tri, à huit cents mètres de là. Si, parallèlement, par transporteur, Rivet livre les NMPP, situées à Combs-la-Ville, en Seine-et-Marne (14 000 exemplaires destinés aux kiosques) et le siège de Politis (quelques centaines d’exemplaires), le transport des numéros pris en charge s’est révélé délicat, voire absurde. Les camions de La Poste quittent le centre de tri au milieu de la nuit pour gagner Paris au petit matin, avant de réexpédier les journaux aux six coins de l’Hexagone. Un temps de déplacement inutile, un circuit imposé par La Poste, sans réelle justification, ce qui explique pourquoi des abonnés reçoivent parfois leur journal avec vingt-quatre heures de retard. « À titre d’exemple, c’est tout de même aberrant , juge Christiane Triclot, chargée du routage, de faire monter à Paris des journaux qui redescendent dans la Creuse ! L’idéal serait de conserver des jonctions transversales, comme auparavant, quand plusieurs camions circulaient à travers les routes de France, sans monter systématiquement à Paris. C’est une journée de perdue, car, arrivés à Paris, les journaux ne sont triés que le lendemain. C’est aussi, malheureusement, une décision nationale, et non pas locale, qui ne favorise pas les imprimeries en province. »

Pour Jean-Pierre Duché, directeur commercial de Rivet, c’est ici l’occasion d’observer combien « le service public, et La Poste en particulier, s’est dégradé dans les dernières années » . Ce n’est là qu’un problème contrariant tous les acteurs de la chaîne, jusqu’aux lecteurs, dans un milieu où l’imprimerie est confrontée à la crise de la presse écrite, où les tirages s’affaiblissent d’une année sur l’autre. « La conquête de nouveaux titres n’est pas facile , analyse Jean-Pierre Duchet. Il faut être introduit chez les décideurs, les éditeurs, ajuster ses prix et ses services. C’est un travail serré, dans un mouchoir de poche. Du coup, le prix tour machine a tendance à baisser. On doit résister pour ne pas se brader, pour se protéger, avec la volonté de réinvestir, sans quoi l’entreprise est en péril. Il s’agit de trouver le juste milieu dans l’échelle des prix. » Pendant ce temps, les rotatives n’en finissent pas de tourner.

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