La guerre chimique contre les Farc

Comme jadis au Vietnam, les États-Unis et leur allié Alvaro Uribe utilisent des défoliants pour détruire la forêt et repérer des rebelles en perpétuel mouvement.

Claude-Marie Vadrot  • 17 janvier 2008 abonné·es

Les deux otages libérées par les Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie), Clara Rojas et Consuelo Gonzalez, ont expliqué qu’elles avaient marché vingt jours avec les guérilleros pour parvenir à San José de Guaviare, où les hélicoptères de Hugo Chavez les ont recueillies. Le petit groupe venait sans doute des rives du Rio Macaya, au sud. Cette longue marche, toujours effectuée à couvert, rappelle que la forêt colombienne est un enfer et que les Farc, dont les installations et le quartier général sont souvent fantasmés comme inexpugnables et sécurisés, maintiennent leur présence de façon précaire. Leur lutte contre le gouvernement colombien est plus que jamais une guerre de mouvement menée dans des conditions difficiles. Quel que soit le jugement porté sur cette rébellion, commencée en mai 1948, ou sur ses dérives politiques, c’est un fait que ces 15 000 à 20 000 hommes et responsables armés mènent une vie à la limite du supportable, qui explique probablement en partie leur « autisme ». Lequel répond à celui du président Uribe.

Illustration - La guerre chimique contre les Farc

Un campement des Farc, au nord-est de la Colombie. RUIZ/AFP

Quoique surentraînées et bien armées, les Farc vivent dans un état d’insécurité permanente qui affecte leurs analyses politiques. Un souvenir : lorsque le président Andrés Pastrana leur avait octroyé, à partir de novembre 1998, une zone sécurisée autour de San Vicente de Gaguan, dans le département de Caqueta, pour faciliter les discussions de paix, responsables et porte-parole des Farc ne passaient jamais la nuit en ville, bougeaient sans cesse, ne dormant jamais au même endroit, parcourant chaque jour une dizaine de kilomètres en forêt, dans une province aux routes délabrées. C’est en gagnant cette municipalité, dont le maire était membre des Verts, qu’Ingrid Betancourt a été enlevée. Après, on l’a souvent oublié, que le président colombien lui eut retiré au dernier moment l’usage de l’hélicoptère promis pour cette partie de sa campagne électorale. De là à supposer que le pouvoir, qui la détestait, l’a envoyée se jeter dans la gueule d’un loup dûment prévenu, il n’y a qu’un pas. La guerre qui se poursuit en Colombie est un jeu de poker menteur perpétuel. Malheureusement, les cartes en sont des hommes et des femmes.

Près de Popayan, superbe petite ville coloniale, José, un responsable des Farc d’une quarantaine d’années, avait tenté un jour de nous expliquer la guerre et la paix, la fatigue et l’espoir, les pourparlers et les hostilités : « Nous sommes plus forts que jamais, nous ne pouvons donc pas relâcher la pression sur la police et les militaires si nous voulons que des négociations aboutissent. La trêve, c’est dans la zone, pas ailleurs. Il faut faire vite : la population est lasse des affrontements ; et nous aussi, il faut l’avouer. Mais si nous optons pour une politique pacifique, nous ne voulons pas être massacrés les uns après les autres comme à la fin des années 1980, quand nous avons formé un parti politique légal. Cela nous a coûté 10 000 morts. »

Au mot drogue, José répondait épandage d’herbicide, et la conversation se bloquait. Après des essais menés en 1996, le gouvernement et son allié, les États-Unis, ont lancé en 1999 le Plan Colombie, devenu Plan Patriote : une aide d’un milliard et demi de dollars attribuée par le Congrès américain. Plan destiné à systématiser une campagne de défoliation des communes rurales abritant les cultures de coca et… des guérilleros. D’abord avec des produits extrêmement nocifs, comme le Paraquat, le Tébuthiron ou l’Hexonine, puis avec le célèbre désherbant Round-up de Monsanto. Méthode spectaculaire dans ses effets : la végétation meurt ou perd ses feuilles. Ce qui élimine le couvert des zones où se cachent des rebelles. Avec des dégâts considérables : anéantissement des cultures vivrières, empoisonnement des rivières et des animaux. Des milliers de personnes, notamment les enfants, développent des maladies nouvelles ; d’autres s’exilent vers la ville. Entre ceux qui fuient les combats et ceux qui sont chassés par les défoliants, le HCR compte 250 000 réfugiés.

Des plants de coca sont détruits, mais d’autres replantés immédiatement. Et des narcotrafiquants ont versé une fortune à quelques scientifiques qui ont mis au point des plants de coca transgéniques résistant au désherbant de Monsanto et offrant un meilleur rendement. Les plantations ont légèrement diminué en surface mais la production a augmenté, et les États-Unis « consomment » toujours les mêmes quantités de cocaïne et d’héroïne, dont les prix restent stables, preuve qu’il n’y a pas de pénurie et que le premier objectif du Plan Patriote est militaire.

Monde
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