La panthère noire

Ernest Dawkins, saxophoniste et compositeur de Chicago, présente au festival Sons d’hiver le troisième volet d’une trilogie sur l’histoire du Mouvement pour les droits civiques.

Denis Constant-Martin  • 31 janvier 2008 abonné·es

Sons d’hiver, le festival du Val-de-Marne, entretient des relations privilégiées avec des groupes de musiciens afro-américains qui continuent d’explorer des territoires découverts par les grands innovateurs des années 1960-1970. Parmi eux, les membres de l’Association chicagoanne pour la promotion des musiciens créatifs (AACM), pour qui la recherche d’avant-garde passe par la récupération et l’enseignement de toute l’histoire des musiques afro-américaines. En 2004, Sons d’hiver a invité une de ses chevilles ouvrières, Ernest Dawkins, à créer une trilogie consacrée à l’histoire du Mouvement pour les droits civiques. Celui-ci proposa dans un premier temps un hommage aux « sept de Chicago », militants noirs jugés lors d’une parodie de procès en 1969. Il revint avec ses douze complices en 2006 pour évoquer cette fois Fred Hampton, du Black Panther, assassiné par la police en 1969.

Cette année, les mêmes présenteront le dernier tableau de ce triptyque : une pièce consacrée à Emmett Till, jeune Noir de Chicago lynché en 1955, à l’âge de 14 ans, pour avoir interpellé (ou sifflé) une Blanche dans un village du Mississippi, et dont les assassins furent rapidement acquittés. L’horreur et l’injustice exposées par le drame d’Emmett Till furent un des facteurs déclenchants du mouvement qui devait aboutir, dix ans plus tard, à l’adoption de la loi sur les droits civiques.

Ernest Dawkins, pur produit de l’AACM, est donc un militant : il enseigne dans des écoles publiques et entend donner à son travail musical une dimension politique. Si la trilogie dont il terminera la création à Sons d’hiver évoque le passé, c’est parce qu’il est indispensable de le garder en mémoire, mais surtout parce qu’il importe de déclencher un processus de guérison. Les deux premiers volets de son oeuvre se sont révélés passionnants et somptueux. Rythmiquement propulsée par une paire de batteurs exceptionnels (Hamid Drake et Isaiah Spencer), sa musique est d’une foisonnante boulimie qui évoque les moments les plus forts des « ateliers » de Charles Mingus.

Ernest Dawkins a su retrouver, et développer, cette manière de créer un son unique par l’entrelacement des discours (auxquels une voix qui raconte se mêle parfois) ; cet art de créer du mouvement par combinaison de changements subtils et de brusques arrêts. Les membres de l’orchestre sont tous de remarquables solistes voguant avec délectation des styles classiques évoquant les grands d’antan aux expressions les plus aventureuses et les plus personnelles. Ernest Dawkins montre comment la meilleure musique peut servir les projets politiques les plus indispensables. En cela, il est bien aujourd’hui un des meilleurs défenseurs de la Great Black Music des États-Unis.

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