Le pouvoir des chansons

Jacques Vincent  • 4 janvier 2008 abonné·es

Il y a deux ans, Neil Young sortait un album au titre et aux paroles explicites comme disent les censeurs. Living with War (« Vivre avec la guerre »), avec des titres comme « Let’s Impeach The President » ou « Flags for Freedom », qui évoque une famille dont le fils part se battre en Irak, était un disque important en tant que commentaire à chaud sur l’Amérique de Bush. Au même moment, Bruce Sprinsgsteen était allé se ressourcer chez Pete Seeger, dont il chantait les chansons sur scène avec un grand orchestre. Tous les deux sortent aujourd’hui un nouvel album enregistré en compagnie de ceux avec lesquels ils ont fait l’histoire. Crazy Horse pour NeilYoung. L’E-street Band pour Springsteen. Comme les vieux amis qui se réunissent dans les moments difficiles pour retrouver la chaleur du groupe. Au-delà, ils retrouvent aussi la puissance et l’énergie qui font tant défaut au rock depuis longtemps. À tel point qu’on conseillera aux plus en manque de se précipiter sur deux morceaux : « Radio Nowhere » chez Springsteen, qu’on dirait revenu à l’époque de « Born To Run », et « Dirty Old Man », chez Neil Young, et de les écouter en boucle avant de passer au reste.

Soit « Chrome Dreams II » pour Neil Young, dont le titre s’explique par un premier volume enregistré depuis longtemps mais jamais édité, et qui s’ordonne autour de deux immenses titres. Immenses par leur intensité et leur durée, entre quinze et vingt minutes chacun. « Ordinary People » parle des laissés-pour-compte du rêve américain devenu immonde et cynique, ce qui ne l’empêche pas de très bien s’exporter. C’est comme « Cortez The Killer » sur une face entière, sauf que les assassins sont bien actuels. C’est le Neil Young invincible des orages électriques. Et peu importe que le morceau ait été écrit il y a vingt ans, il reste malheureusement d’actualité. « No Hidden Path » évoque, lui, le temps qui passe, et sa longueur même est une manière de traiter le sujet.

L’album de Bruce Springsteen s’intitule Magic. La magie en question n’a rien d’un art du merveilleux et est à prendre au second degré. Il s’agit de cette pratique de bonimenteur utilisée par certains politiciens pour embobiner le peuple. Mais il y a aussi une vraie magie, assez miraculeuse, dans ce disque. Celle qui se conjugue en mur de son scintillant, dômes de guitares acoustiques, orgue, harmonica, saxophone et rythmique chromée de grosse cylindrée.
On empruntera une ligne du « Terry’s Song » de Springsteen, émouvante épitaphe pour un ami disparu, pour résumer le sentiment que procurent ces deux disques : « L’amour est un pouvoir plus grand que la mort, exactement comme les chansons et les histoires racontées. » On peut y lire aussi que les chansons, et celles-ci en particulier, par l’humanité qu’elles expriment, sont plus fortes que tout ce que ce monde invente chaque jour pour essayer de nous déshumaniser et donc nous tuer.

Chrome Dreams II, Neil Young, Warner. Magic, Bruce Springsteen, Sony.

Culture
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