Les banlieues crèvent l’écran

Les « Chroniques du temps présent en Seine-Saint-Denis » proposent des courts-métrages d’actualité réalisés par des jeunes et projetés en salle, avant le film. Un projet destiné à se réapproprier la fabrication de l’information.

Politis.fr  et  Marine Raté  • 21 janvier 2008 abonné·es

Sans effets de manche, sans fioritures, voici l’actualité telle que vous ne l’avez jamais vue, et sur grand écran s’il vous plaît. Sensibiliser les citoyens à un regard différent sur l’actualité, pas uniquement au travers des médias «institutionnalisés », voilà à quoi s’attellent les fondateurs du Centre média local . Une démarche née du partenariat volontaire et bénévole entre le Centre média local et l’Ecran, cinéma d’art et essais de Saint-Denis. Son directeur, Boris Spire, projettera du 23 janvier au 26 février des courts-métrages sous forme de documentaires-fiction réalisés par les membres de l’association. Soit, en très grande majorité, des jeunes issu des quartiers alentours. Le Centre média local est, lui, issu d’une alliance entre Riv’nord et Rapsode production en 2005, suite aux événements de la même année dans les banlieues (voir Politis n°950). « Le fonctionnement de l’association repose sur une logique d’échange entre les adhérents qui souhaitent monter un projet » , explique Marina Galimbeti, une des co-fondatrices du Centre média local avec Sylvie Coren, Marie Tavernier et Patrick Laroche, tous professionnels de l’audiovisuel.

Illustration - Les banlieues crèvent l’écran

En deux ans, l’association a attiré une cinquantaine de jeunes adhérents, poussés par l’envie de communiquer sur l’actualité qui les concerne directement. Le Centre média local offre non seulement la possibilité à tous les individus qui le désirent de réaliser leurs films, mais fournit également un accès à la formation audiovisuelle, l’aide de professionnels membres de l’association et un accès au matériel permettant de réaliser leurs projets, pour lesquels les membres de l’association n’imposent aucun sujet. La base de l’engagement des adhérents repose sur une charte édictant une unique condition : une participation interactive des adhérents sur plusieurs réalisations et pas seulement sur leur projet personnel. « Le but est de faire travailler ensemble des personnes issues de tous milieux et de statuts différents, pour avoir un regard multiple sur les questions de société et d’actualité , précise Marina Galimbeti, et donc acquérir une vision réelle et globale des différentes perceptions de l’actualité. » La fabrication de l’actualité reflète ainsi le quotidien et le vécu des personnes qui la vivent de l’intérieur. D’autant que les professionnels encadrant les participants veillent à ne pas dénaturer le travail des réalisateurs en herbe.

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La programmation de l’événement des « Chroniques du temps présent de Saint-Denis » a été élaborée de façon à toucher le plus grand nombre, sur des sujets récurrents de l’actualité sociétale. Notamment le sujet de l’immigration, que Rapsode production et Riv’nod traitent sous l’angle des « Migrances africaines » (exposition du 19 janvier au 23 février). Les projections sont prévues le lundi à 20h, un moment qui suscitent plutôt un cadre calme fréquenté par des intellectuels ; le mercredi à 20h, où la séance concerne un grand public cinéphile ; et le vendredi à 18h, un horaire propice à la foule et à tous les genres de public.

Le tout premier court-métrage projeté fin janvier, « Hôtel Montagnard » (2006), montre le quotidien d’une vingtaine de familles africaines en proie à des problèmes de logement. On y voit des familles entières vivre dans un hôtel insalubre de Saint-Denis tout en versant des loyers faramineux au propriétaire, malgré l’état déplorable des lieux. Le film, dont le tournage a duré plusieurs mois, montre la complicité des institutions avec les marchands de sommeil. Les familles perçoivent en effet des aides au logement (APL) bien qu’elles louent ces chambres « au noir ». Ce sont surtout des femmes, mères de famille, qui parlent de leur situation tout en rendant compte du climat dans lequel elles vivent au quotidien. Le court-métrage laisse apparaître une solidarité entre des femmes combatives face à leurs problèmes. Des pétitions lancées par des associations comme « Solidarité logement » de Saint-Denis, sont signées par les passants devant l’hôtel. Devant la mairie, des familles manifestent avec un sit-in pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que le maire de Saint-Denis leur propose une solution de relogement.

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« Les déboulonneurs » (2006), autre film bientôt diffusé dans les salles de l’Ecran, est réalisé par l’une des co-fondatrices et professionnelle du Centre média local, Sylvie Coren. Ce reportage, monté à la manière d’un clip artistique, critique l’invasion publicitaire. On y voit le collectif des déboulonneurs convier les passants à participer à une action de désobéissance civile et pacifique contre les méfaits de la pub. À la fin de la programmation se tiendra un débat, en présence du public, des réalisateurs et d’invités, parmi lesquels Guy Pinot, responsable de l’association de critique des médias Acrimed et Patrick Champagne, philosophe.

Lancé comme un projet entre copains, les Centre média local et le cinéma l’Ecran pourraient officialiser et ainsi pérenniser leur partenariat sur les « Chroniques », suscitant peut-être d’autres actions de ce type en France. « Le but étant de proposer des projections régulières pour atteindre une grande partie de la population » , anticipe Marina Galimbeti. Pour mettre, aussi, les banlieues sous les feux de la rampe à travers un regard différent.

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