Plus de présence, moins de reconnaissance

La plupart des syndicats de l’Éducation nationale appellent à la grève avec toute la fonction publique ce 24 janvier. Ils dénoncent la dégradation des conditions de travail et salariales des enseignants.

Olivier Doubre  • 24 janvier 2008 abonné·es

Une nouvelle journée nationale de mobilisation de la Fonction publique devait se tenir ce jeudi pour protester contre les mesures gouvernementales concernant les conditions de travail, l’absence d’une revalorisation digne des salaires et, plus généralement, contre la décision de Nicolas Sarkozy de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite durant les quatre prochaines années. Parmi l’ensemble des fonctionnaires appelés à faire grève, les enseignants sont particulièrement inquiets, et la plupart des organisations syndicales de l’Éducation nationale participeront donc à ce mouvement [^2]. Même si certaines d’entre elles, telle SUD-Éducation, tout en appelant à la mobilisation, ne cachent pas leur interrogation sur l’efficacité de ce mode d’action et l’utilité de telles journées, non reconduites dans le temps, face à un gouvernement qui en tient si peu compte…

Illustration - Plus de présence, moins de reconnaissance

Manifestation en mars 2007, à Lyon, contre les 5 000 suppressions de postes prévues pour la rentrée. DUFOUR/AFP

En effet, depuis l’échec du mouvement contre la réforme des retraites de 2003, la volonté de se mobiliser dans la première administration française en nombre de fonctionnaires est certainement moins forte que par le passé. Pourtant, les problèmes rencontrés et vécus par les « profs » et les « instits » sont bien réels.

Les difficultés des enseignants et les violences à l’école, notamment dans les quartiers défavorisés, font régulièrement, depuis des années, les titres des journaux. Déjà, dans l’ouvrage dirigé par Pierre Bourdieu paru en 1993, la Misère du monde ^3, plusieurs enseignants interviewés reconnaissaient avoir de plus en plus « l’impression de ne pas être reconnus » , malgré le dévouement et l’énergie mis par eux dans ce « métier-sacerdoce » , généralement choisi par passion et fierté. L’une d’entre eux comparait, non sans amertume, son sentiment de dévalorisation de sa fonction avec l’image qu’avaient ses parents ouvriers, ou ses grands-parents illettrés, de l’instituteur, dont ils parlaient « avec le plus grand respect » .

Aujourd’hui, comme le reconnaît sans détour Frédérique Rolet, cosecrétaire générale du Syndicat national de l’enseignement secondaire (Snes), ce « sentiment de déclassement, d’abord salarial mais aussi social, est bien réel. Ainsi, les jeunes enseignants déclarent de plus en plus souvent qu’ils ne conseilleraient pas ce métier à leurs enfants » !

Sur la question salariale, les chiffres d’une enquête récemment conduite par son organisation montrent en effet que la rémunération d’un professeur certifié du second degré en début de carrière correspond aujourd’hui à 1,24 Smic, alors qu’en 1981 il équivalait à 2,07 Smic. Or, note-t-elle, « il est relativement nouveau que la question salariale soit de plus en plus présente dans les revendications des profs » , même si toute la Fonction publique subit une « perte globale » de sa rémunération.

Mais ce qui est surtout ressenti, c’est l’augmentation de la charge de travail. Tout en se félicitant de la démocratisation de l’école, Frédérique Rolet, qui enseigne depuis vingt ans, insiste sur la nécessité de préparer encore davantage les cours pour « s’adapter aux différents publics » et « se concerter au sein des équipes pédagogiques » . D’où la nette augmentation du temps de présence dans les établissements en dehors de celui passé devant les élèves, jamais comptabilisé par l’administration…

Or, cette hausse de la charge de travail est une réalité à tous les niveaux d’enseignement, dès la maternelle. Passionnée par son métier, qu’elle exerce depuis douze ans ­ « toujours en ZEP ! » ­, Deborah Gentès, institutrice en petite section dans le XXe arrondissement de Paris, ne se plaint pas tant de son salaire, même si une revalorisation serait la bienvenue. Elle critique surtout le fait que l’enseignement en ZEP ne donne droit qu’à une prime, retirée durant les vacances ou un congé-maternité. « Je suis pour la concertation au sein des équipes pédagogiques, mais cet investissement n’est pas reconnu, car ces heures ne sont pas institutionnalisées. » Elle a ainsi calculé que, chaque semaine, deux heures de travail ne lui sont pas payées. « Tout ce qui est hors du temps devant les enfants n’est pas pris en compte. Cela ne doit plus être considéré comme de l’altruisme… »

Même constat sur ce point de la part de la cosecrétaire générale de la fédération SUD-Éducation , Maria Bianchini, institutrice, qui souligne « l’investissement réel de nombre d’enseignants face aux problèmes de paupérisation croissante dans la société, qui se répercutent à l’école » : difficultés sociales, familles sans papiers, etc. Un investissement qui devra sans doute encore augmenter puisque 20 000 postes seront de fait supprimés dans les quatre ans qui viennent. Mais elle pointe aussi « le renforcement de la pression hiérarchique dans les établissements, entraînant une concurrence entre collègues, à laquelle s’ajoute la précarité en forte hausse dans l’Éducation nationale » . Toutefois, Maria Bianchini prend quelque distance avec l’idée de déclassement de l’enseignant dans la société : si les salaires sont bas par rapport aux niveaux d’études, d’autres professions dans l’Éducation nationale connaissent des problèmes encore plus aigus. Car, pour SUD-Éducation, la crise de l’école est d’abord celle d’une « école de classe(s) » , dans une société soumise au néolibéralisme…

[^2]: Manifestation de Bastille à Saint-Augustin, à 14 h.

[^3]: Seuil. 

Société
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