Pour une gauche nouvelle…

Denis Sieffert  • 31 janvier 2008 abonné·es

Lundi matin, la foule s’était massée dans une rue habituellement peu fréquentée de la banlieue parisienne. La file d’attente qui serpentait sur une bonne encablure ne conduisait ni dans un grand magasin un jour de soldes, ni à l’agence locale pour l’emploi. Elle menait au siège de la Ligue communiste révolutionnaire. On s’y pressait pour acheter la carte du futur parti anticapitaliste, devenue en quelques heures une valeur sûre et convoitée dans un monde décidément volatil. La promotion en avait été assurée moins par Olivier Besancenot que par un certain Jérôme Kerviel, trader à la Société générale et nouvelle coqueluche des médias. En jonglant avec quelque cinquante milliards d’euros, dont cinq ont fini par disparaître, l’opérateur audacieux a mis spectaculairement en évidence la frivolité et l’injustice du système. Il a frappé l’imagination de centaines de citoyens qui en ont déduit qu’il était temps d’en tirer des conclusions politiques sans faux-fuyants. Bon, trêve de galéjade. Vous l’avez deviné : il n’y avait personne lundi matin devant les locaux de la LCR, hormis quelques colleurs d’affiches venus chercher du « matériel ». Les processus de politisation sont compliqués. Et la conscience entretient avec la réalité des relations plus subtiles, qui n’ont pas toujours à voir avec la logique. Certains de nos concitoyens peuvent bien se dire révoltés par les extravagances financières du libéralisme et voter pour le plus libéral des candidats à la présidentielle. Ou entendre Ségolène Royal s’émerveiller devant le « cadeau fait à la France » par Jacques Attali, auteur d’un rapport socialement dévastateur, et continuer de considérer que l’ex-candidate est de gauche.

Au fond, il est peut-être rassurant que tout ne soit pas d’une logique d’airain. Nous sommes riches de nos petites contradictions. Voilà au moins une richesse qu’on ne peut pas nous retirer ! Mais il y a tout de même des limites. Nous avons parfois souri en entendant les discours d’Arlette Laguiller. Il ne suffit pas toujours de prendre les milliards aux « nantis » pour les distribuer aux smicards. Mais il arrive un moment où on n’a plus du tout envie de rire. On peut considérer que ce moment est atteint lorsqu’on découvre certains chiffres. Et pas seulement les cinq milliards partis en fumée à la Société générale… Mais d’autres, qui ne peuvent pas, même indûment, figurer dans la rubrique « faits divers ». Sait-on, par exemple, que le volume des transactions financières a été multiplié par sept au cours des vingt-cinq dernières années ? Et qu’avec six mille milliards de dollars, elles représentaient fin 2005 l’équivalent de 15 % du produit intérieur brut mondial, contre 4,6 %, vingt-cinq ans plus tôt [^2]
? La conséquence de cette dérive devrait, « en toute logique », constituer le problème politique majeur de notre époque : le transfert massif de la richesse du travail vers le capital ; ou, si l’on préfère, des salaires vers les revenus financiers. C’est ce qu’un candidat socialiste digne de ce nom aurait dû répondre à Nicolas Sarkozy quand il nous serinait avec sa réhabilitation de la « valeur travail ». Un rééquilibrage drastique devrait être au coeur de tout discours de gauche.

Mais c’est peu dire que nos « politiques » sont timorés à ce sujet. C’est qu’ils savent que la « dérive » n’est pas une dérive. L’affaire des subprimes , qui a provoqué la crise boursière de ces dernières semaines, est tout sauf un accident de parcours. Elle traduit, comme disent les spécialistes, un mal systémique. C’est le capitalisme même qui a besoin d’inciter à la consommation des consommateurs que, par ailleurs, il ne cesse d’appauvrir. D’où l’invitation à l’endettement. Les victimes sont des Américains pauvres que l’on a convaincus d’hypothéquer leurs biens pour qu’ils continuent d’acheter. La course à la sacro-sainte croissance est la cause de tout cela. Et ­ comble du raffinement ! ­ on a transformé miraculeusement leur dette en produit spéculatif volant de main en main jusqu’au moment où il ne trouve plus acquéreur. Nous sommes bien en face d’une forme de développement quasi inexorable du capitalisme. Il serait temps que ceux qui partagent cette analyse ­ et ils sont nombreux ­ se regroupent pour réfléchir à une offre politique qui ne soit pas le fait d’un seul mouvement. Car si la conscience politique n’est pas toujours logique, il lui arrive aussi de buter sur une offre inadéquate, ou trop sectaire. En Allemagne, comme l’a montré ce dimanche la percée du parti de gauche radicale Die Linke (La Gauche) aux élections en Hesse et en Basse-Saxe, et en Italie, des regroupements se sont déjà opérés avec succès. Il n’est pas sûr que la voie solitaire de la LCR soit la meilleure. Cette gauche nouvelle que l’on appelle de nos voeux, et qui n’aurait pas peur des mots, a besoin d’ouverture et de diversité. Elle a besoin de prendre le meilleur dans toutes les composantes de la gauche française. Nous y croyons parce que la nécessité est là.

[^2]: Chiffres du McKinsey Global Institute, cités par Alternatives économiques, hors-série n° 75.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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