Rouge canard

En illustrant des extraits du « Journal de la Commune », Éloi Valat fait renaître une révolution au quotidien, avec ses drames et ses utopies réjouissantes.

Marion Dumand  • 10 janvier 2008 abonné·es

C’était la Sociale, la Commune. À Paris, celle-ci a eu son journal officiel. Élections, lois et décrets y paraissaient comme dans le nôtre. Mais, à mille lieux de ce dernier, il accueillait aussi des faits divers, des lettres de citoyens et des débats d’élus. Le Journal de la Commune en regroupe des extraits choisis et illustrés par le peintre et dessinateur Éloi Valat. Les mots d’antan s’accompagnent de dessins pleine page évoquant Épinal et l’Assiette au beurre . Hâtifs, les traits d’encre s’entrecroisent, découpent des formes heurtées que les à-plats de couleur remplissent. S’anime alors « un monde de personnages cabossés (voir le site d’Éloi Valat) ». Populo anonyme et héros oubliés se montrent et font entendre leurs voix. Épique en ses détails, scènes de vie ou de mort, une révolution au quotidien renaît.

Il y a les merveilles des premiers temps, si simples qu’elles nous paraissent maintenant utopiques. « Sur les justes demandes de toute la corporation des ouvriers boulangers, la commission exécutive arrête : Art. 1er. Le travail de nuit est supprimé. » Valat montre alors un boulanger, pipe au bec et mine réjouie, près d’un gavroche, casquette sur la tête et pain à la bouche. Accompagné d’un chat joueur, le duo fixe un objectif imaginaire devant la boutique. Il y a ces parcours extraordinaires. Comme ce Triat : volé enfant par des bohémiens, revendu à des artistes italiens, il quitte les routes d’Europe pour fonder un gymnase-école *. « Ces cours, étant faits sous le patronage de la municipalité du 8e arrondissement, seront entièrement gratuits. »*

Il y a la lutte contre les habitudes, que certains découvrent absurdes. « Je m’aperçois que, par un esprit de routine, on met un factionnaire à chaque guérite, sans savoir s’il y a ou non nécessité, note ainsi le délégué à la Guerre Cluseret. On supprimera tous ceux des jardins publics et autres monuments où il n’y a rien à garder. » Le même Cluseret « remarque avec peine qu’oubliant notre origine modeste, la manie ridicule du galon, des broderies, des aiguillettes commence à faire jour parmi nous ». Vous parlez d’un militaire ! Son portrait le présente pensif, chemise de civil et veste bardée de médailles, avec pour seul décor un broc pour la toilette et une fenêtre de prison. Car, quand la guerre commence, il sera relevé de ses fonctions par le Comité de salut public…

La vie demeure rude : « La maladie la plus meurtrière est toujours la bronchite (301 décès). » Et elle n’est pas près de s’adoucir. La Commune perd pied, sa chute approche. Le rouge ne colore plus seulement drapeaux et écharpes d’élus. Il envahit barricades et champs de bataille, jusqu’à annihiler les autres teintes, puis disparaître à son tour. Figures en noir et blanc, à peine tuées d’une tache vermeille, les Communards sont morts. Vive les Communards !

Culture
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