Un bloc contre l’exclusion

Un collectif a défini les treize engagements indispensables pour une politique publique en faveur des sans-abri et des mal-logés. À charge du député Étienne Pinte de les intégrer dans le plan d’action annoncé pour la fin janvier.

Ingrid Merckx  • 17 janvier 2008 abonné·es

Victoire ou privilège ? En ces temps où la concertation n’est pas de mise, l’action en faveur des sans-abri et des mal-logés prend la politique du passage en force à contre-pied. Figurant, ces jours derniers, un dossier qui progresse par allers-retours entre le terrain et le gouvernement. Rien n’était moins sûr, il y a encore un mois, quand, prévoyant que la mise en place de la Loi sur le droit au logement opposable (Dalo) courait au désastre, les associations de lutte contre l’exclusion sont reparties à la charge.Trois jours après l’action lancée par les Enfants de Don Quichotte au pied de Notre-Dame, François Fillon recevait leurs principaux représentants, dont ceux du Secours catholique, d’Emmaüs, de la Fondation Abbé-Pierre… Et, soucieux de calmer les esprits face à une mobilisation qui bénéficie d’un fort soutien populaire, il chargeait le député (UMP) Étienne Pinte de « rédiger un contrat de partenariat entre l’État et les associations pour la mise en place d’une nouvelle politique interministérielle » , sur le thème : « Personne ne doit être contraint de vivre à la rue. » Preuve que le message essentiel porté par les associations est passé. Reste à aller au-delà de ce consensus pour mettre en place la politique publique du logement tant attendue.

Illustration - Un bloc contre l’exclusion


Les mal-logés de la rue de la Banque, à Paris, le 14 décembre 2007. SAGET/AFP

Réunies, pour l’occasion, en collectif, 19 associations représentant « toute la chaîne, de la rue au logement » [^2]
(accueil, hébergement, accompagnement, gestion administrative…) ont tiré des 37 propositions du Comité de suivi du Dalo et des préconisations de la Conférence de consensus sur les sans-abri
« 13 engagements gouvernementaux jugés indispensables pour loger les personnes sans abri et mal logées ». Ces engagements ont été soumis à Étienne Pinte lors d’une réunion de travail le 7 janvier. Quelle sera la part d’écoute du député ? Et la part de réponse du Premier ministre ? Pour mesurer l’écart éventuel entre les propositions des deux bords, les associations ont décidé de rendre les leurs publiques lors d’une conférence de presse qui s’est tenue le 10 janvier à Paris. Par souci de transparence. Et par précaution : si Étienne Pinte bénéficie d’un a priori favorable auprès d’elles (comme défenseur de la mixité sociale à Versailles, ou pourfendeur de l’amendement Mariani…), il est à peu près certain, s’il remet fin janvier un plan d’action faiblard, de voir se lever contre lui un front associatif déterminé. C’est peut-être là la première bonne nouvelle. Les représentants d’associations à la tribune le 10 janvier ne s’en sont d’ailleurs pas cachés, saluant à plusieurs reprises leur inédite unité. Mais il y avait, derrière cette manifestation d’autocongratulation, plus qu’un exercice de communication : la volonté de signaler l’émergence peut-être pas d’un pouvoir, mais au moins d’une force. « Nicolas Sarkozy s’est engagé pendant sa campagne présidentielle à ce qu’il n’y ait plus personne dans la rue fin 2008. Nous demandons à ce que cela soit décrété priorité nationale, via un plan d’action assorti d’objectifs et d’une programmation pluriannuelle. »

« Et si le gouvernement vous dit non, ou qu’il ne sélectionne que les mesures non coûteuses, vous remontez les tentes ? » , a demandé une journaliste de France 2. « Il faut avoir à l’esprit, s’est-elle entendu répondre par Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre, que le dispositif actuel coûte bien plus cher que l’ensemble de ce que nous proposons. » « Étienne Pinte a démarré sa mission en annonçant que la question des moyens n’était pas un problème. Donc, on va bien voir ! », a également lancé Didier Cusserne, d’Emmaüs . « Ces engagements ne sont pas dissociables : ils découlent tous les uns des autres, a précisé Hervé de Ruggiero, de la Fnars. Nous ne livrons pas là un catalogue mais un continuum de propositions. Nous n’accepterons qu’une modulation entre ce qui doit être fait immédiatement et ce qui prendra un peu plus de temps, comme l’installation d’un observatoire chargé d’évaluer la mise en oeuvre. »

Les associations ont joué la carte de la didactique : soumis à quatre principes (dont le logement comme finalité de tous les dispositifs et la systématisation de l’accompagnement social) et quatre impératifs de mise en oeuvre (dont une autorité politique suffisante et une synergie entre les dispositifs), leurs « 13 engagements indispensables » sont regroupés en trois volets. Premier volet, la prévention : continuité de prise en charge au sortir d’une institution, moratoire sur les expulsions locatives, résorption des logements indignes, rendre universelle la Garantie des risques locatifs. Deuxième volet, l’hébergement : financement exceptionnel pour humaniser les centres, création des places prévues par le Dalo (pour une personne accueillie, dix n’en ont pas), unification des statuts des centres, renforcement de l’accompagnement (de nombreux sans-abri n’ont encore jamais rencontré de travailleur social). Troisième volet, le logement : mobiliser tous les contingents de logements sociaux (le contingent préfectoral ne suffit pas), imposer 20 % de logements sociaux dans tout programme immobilier de plus de 10 logements (sauf pour les communes ayant déjà plus de 40 % de logements sociaux), respecter les objectifs du Plan d’action en faveur des sans-abri (Parsa), notamment en matière de création de maisons relais, mobiliser immédiatement 100 000 logements dans le parc privé, et confier à l’État l’autorité sur les permis de construire quand les maires ne respectent pas les 20 % de logements sociaux. En résumé : faire assumer à l’État son rôle de garant des lois (Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, Parsa, Dalo…).

« Nous ne cherchons pas à faire du chantage mais à traduire les besoins que nous observons sur le terrain et que nous rapportent les milliers de sans-abri, mal-logés et bénévoles que nous représentons, a souligné le collectif. Les axes définis sont non-partisans et réalisables, ce que nous demandons est dans l’intérêt de la nation ! » Face à une situation « indigne » d’une démocratie, le front associatif se place du côté du droit. Reconnaissant comme levier principal de son travail le fameux Droit au logement opposable, né de la mobilisation de l’hiver 2006-2007 sur le canal Saint-Martin, et entré en vigueur le 1er janvier dernier.

[^2]: Association des Cités du Secours catholique, Association Emmaüs, ATD Quart Monde, Casp, La Croix-Rouge française, Emmaüs France, Enfants de Don Quichotte, Fapil, Fédération entraide protestante, Fédération habitat et développement, Fédération nationale des centres Pact Arim, Fnars, Fondation Abbé-Pierre, Fondation Armée du salut, Habitat et humanisme, Restaurants du coeur, Secours catholique, Unhaj, Uniopss.

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